La Lettre 49 - page 22

La lettre
n°49
ossier
Quelle éthique pour l’étude de la dou-
leur chez l’animal ?
François LachapellE
Introduction
Aujourd’hui, laquestionpour leneurobiologiste
n’est plus de savoir si les animaux souffrent
mais comment ils souffrent.
L’association Internationaled’Étudede laDouleur (Internatio-
nalAssociation for theStudyof Pain–
IASP
)définit ladouleur
chez l’homme comme «une sensation et une expérience
émotionnelledésagréableen réponseàuneatteinte tissulaire
réelleoupotentielleoudécritesences termes».Elleestdonc
subjectiveet reposeavant tout sur le ressenti dupatient, ce
qui la renddifficileàquantifier et àqualifier.Historiquement
sapriseencompteen tant quepathologieest très récente
dans l’histoirede lamédecineeuropéenne. L’incapacitédu
sujet àexprimerun ressenti douloureuxà traversun langage
articuléaconstituépendant longtemps leprétexteàconsi-
dérerquecesderniersnesouffraientpasoupeu : Il enaété
ainsi pendant longtempsdesnourrissons
(1)
pour lesquels
lapriseencomptede ladouleur n’est apparuequ’après la
démonstrationen1980de l’existenced’unenociceptiondès
lavie fœtale
(2)
. Lanégationpuis l’interrogationspécifique
sur ladouleur desanimauxprocèdent avant tout dumême
mécanisme. Se fondant sur la constructionphilosophique
du corpsmachinedeMalebranche, faussement attribuée
àDescartes
(3,4)
lacommunauté scientifiquea longtemps
considéré que lesmanifestations comportementales des
animauxconfrontésàdessituationsdouloureusesn’étaient
que l’éventail de comportements réflexes de défense en
réponseàcequi s’appellerapar lasuite lanociceptionet la
réponsede JeremyBentham «nemedemandez pas s’ils
peuvent raisonner, s’ils peuvent parler mais s’ils peuvent
souffrir »mettra deux siècles à émerger dans la commu-
nauté scientifique. De façon paradoxale c’est lamise en
évidencedesnocicepteursparSharringtonen1906
(5)
qui
légitimera l’idée selon laquelle les animaux peuvent souf-
frir en associant tout ou partie desmécanismes cognitifs
demémorisation, amplification, stress, anxiété, résilience
qui modulent la réponse à la nociception. Le développe-
ment desmodèles animaux d’étudedes composantes de
ladouleur dans tous ses états, des seuils de nociception
à l’effet de l’exposition prolongée à une douleur intense,
signent aujourd’hui la reconnaissancepar la communauté
des neurosciences de l’existenced’unedouleur animale.
Aujourd’hui laquestionpour leneurobiologisten’estplusde
savoirsi lesanimauxsouffrentmaiscomment ilssouffrent.Le
secondquestionnementestdeconsidérer jusqu’àquelpoint
cette souffranceest représentativede ladouleur humaine.
C’est cequesouligneCraigse fondant surunargumentaire
neuroanatomique
(6)
en réponseà la revuedeMogil sur les
modèlesanimauxd’étudede ladouleur
(7)
. Les réponsesà
cesdeuxquestionsconstituentdeuxdes fondementsprinci-
pauxde l’éthiqueutilitaristeque lacommunautéscientifique
appliqueà l’utilisationdesanimauxàdesfinsscientifiques.
De façongénérale lequestionnement éthique sur laprise
en comptede ladouleur chez l’animal en expérimentation
se situe àdeux niveaux : d’unepart, est-il moralement ac-
ceptablepour un être senséd’infliger volontairement une
souffranceàunêtrevivant d’uneautreespèceenvued’en
tirerunbénéficeen termesdeconnaissance?D’autrepart,
d’un point de vue scientifique, jusqu’où les perturbations
biologiques induitespar ladouleuroupar lesmoyensmisen
œuvrepour lamaîtriser, vont-ellesaltérer lavaliditédes résul-
tatsexpérimentauxobservés?Lapremièrequestion relève
du débat dans le cadre d’éthiques catégoriques comme
l’anti-spécisme, la secondede laméthodologiedes3R.
Les3R fondementsd’uneéthiqueutilitaristeappliquée
à l’utilisationdesanimauxàdesfinsscientifiques.
Aujourd’hui l’utilisationdesanimauxàdesfinsexpérimentales
est strictement encadréepar ladirective2010/63publiéeen
novembre2010qui faitde la règledes«3R» uneobligation
réglementaire. Cette règle issuede laprisedeconscience
de lacommunautéscientifiqueaétéproposéeparBurchet
Russel en1959
(8)
.Elleproposed’appliquerà laconception
et la réalisationdesprocéduresexpérimentales fondéessur
l’utilisationdes animaux uneméthodologieen trois étapes.
Lapremière consistant à
Remplacer
chaque fois que cela
est possible l’animal vivant par unmodèle non sensible, la
seconde consiste à
Réduire
le nombred’animaux utilisés,
Ledécretdu1 février2013qui transcrit endroit français
laDirective2010/63prévoitque toutprojetmettantenœuvre
l’utilisationdevertébrésvivantsdoit faire l’objetd’uneauto-
risationpréalable à samise enœuvre. Cette autorisation
accordéepar leministère en chargede la recherche est
assujettieàuneévaluationparuncomitéd’éthiquequi éva-
lue lapertinenceduprojet et évalue lasévéritédechacune
des procédures proposées. Dans ce cadre le chercheur
doit seconformer à laméthodologiedes3Ren justifiant le
choixde l’espèceet dumodèles’il considèrequ’il n’existe
pasdeméthodedeRemplacement. Il doit ensuiteexposer
l’ensembledesmoyensde laRéductiondunombred’ani-
mauxen justifiant les lots, leseffectifset les témoinssurun
argumentaire statistique optimisé incluant lamaîtrisedes
éléments de la reproductibilité. En terme deRéduction,
maiscette fois-cide lacontrainte, ildoit rechercher l’espèce
lamoins susceptibled’être affectéepar les conditions de
l’expérimentationetproposerunestratégiedepoints limites
(cette stratégie viseà identifier l’état cliniquede l’animal à
partirduquel ondécidedemettreenœuvreunemodifica-
tionde laprocédure compatible avec l’objet de l’étude et
destinéeàsoulager lacontrainteouà lasupprimer). Il doit
enfinproposer l’ensembledesmoyensde«Raffinement »
permettantd’assurer leplushaut niveaude«bienêtredes
animaux tout au longde leur vieet aumomentde leur sacri-
fice».Cesméthodes incluent l’enrichissementdumilieu, le
conditionnement, l’optimisationdesméthodes tellesque la
pratiquedesseuils liminaires, lamiseenœuvredeméthodes
non invasivesdemesureet dediagnostic.
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