La Lettre 49 - page 25

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notionde temps :KCmaîtriseparfaite-
ment tous lesélémentsconceptuels liés
au tempsmais est incapablemalgré
celadeseprojeterdans le temps,que
ce soit vers le passé ou vers le futur
(2)
. Nous avons par ailleurs souligné,
dansmonUnitéde recherche, la fra-
gilité de ce « voyagemental dans le
temps», notamment vers le futur,dans
différentespathologies comme l’ictus
amnésique idiopathiqueou ladémence
sémantique.
Ces études ont aussi entraîné des
découvertes dans d’autres secteurs
de la neuropsychologie, y compris la
description de nouveaux syndromes
comme l’amnésiedéveloppementale
(ousyndromeamnésiquede l’enfant),
où cette même dissociation épiso-
dique/sémantique est retrouvée, et
avecquelleacuité !Cesyndromesou-
ligne le faitque lamémoiresémantique
semet enplaceavant lamémoireépi-
sodique et que cette dernière prend
nécessairement appui sur lamémoire
sémantique
(3)
. Les travaux se sont
aussi étendus à différents domaines
desneurosciencescognitives : image-
rie cérébrale, stimulationmagnétique
transcranienne, sansoublier les travauxmagnifiquesdeNico-
laClaytonsur lamémoire«episodic-like»dugeai buisson-
nier àgorgeblanche, petit corvidéàpeineplusgrosqu’un
merle, àmêmede faire réfléchir l’Hommesur lasuprématie
desamémoire !Lesconséquencescliniqueset théoriques
desdialoguesavecKCont doncétéconsidérables
(4, 5)
.
L’histoired’unconcept n’est toutefois jamais linéaire, s’étof-
fant progressivement aufil du tempscommeun longfleuve
tranquille :des résistancessontapparues faceàcenouveau
concept demémoire épisodique, jugé envahissant bien
qu’imprécis pour les uns, inutile pour d’autres. Les liens
supposés avec lamémoire sémantiqueont donné lieuaux
débats lesplushouleux.Endel Tulvinga toujourseu l’énergie
et la forcedepersuasionpour résister aux critiques. Pen-
dant longtemps toutdemême, unsyndromecliniques’inté-
graitmal à la théorie selon laquelle lamémoireépisodique
s’appuienécessairement sur lamémoiresémantiqueetqui
postulequ’aucun souvenir épisodiquenepeut émerger en
l’absencede représentationssémantiques leconcernant.La
démencesémantique,qui faitpartiedesdégénérescences
lobaires frontotemporales, seprésentede façon inverse, tout
dumoins audébut de son évolution, puisquedes troubles
conceptuelsmassifs coexistent avec la formationpossible
denouveaux souvenirs, «au jour le jour ». Plus largement,
ladémencesémantique, ouvariante temporalededémence
fronto-temporale, secaractérisepardes troublesmajeursde
lamémoiresémantiquequi contrastentavecunepréservation
desaspectsphonologiqueset syntaxiquesdu langage.De
plus, même s’il est imprécis, le langage conversationnel
restepossibleàunstadede l’évolutionoù les troubles lexico-
sémantiques (manquededisponibilité lexicaleet altération
de lasignificationdesconcepts) sontmassifs. Ladémence
sémantique sedistinguedesaphasiesdégénérativesnon-
fluentesoù les troublesphonologiqueset syntaxiques sont
aucontraireaupremierplan.Danscesmaladiesneurodégé-
nératives, lasymptomatologie trèsspécifiques’expliqueen
premier lieuparune localisationde l’atrophie,parfoispendant
plusieursannées,àdes régionsdélimitéesducerveau.Dans
ladémence sémantique, l’atrophie cérébrale affectemas-
sivement les pôles temporaux, avec une asymétrie leplus
souventaudétrimentde l’hémisphèregauche.Fait important,
contrairement à cequi avait été affirmé antérieurement, la
formationhippocampiqueestégalement touchée,àunmême
degréquedans lamaladied’Alzheimer.
Ainsi,malgrédes troublessémantiquesmassifs, lespatients
atteints de démence sémantique n’ont pas de difficultés
majeuresàévoquer lesévénementsduquotidien.Lessujets
de conversation des patients sont souvent limités à leurs
activités journalières,mais ilscontinuent àgérer leur viede
façonautonome. Cette relativepréservationde lamémoire
épisodique, endépitde l’atteintede l’hippocampeetmalgré
l’importancedes troublessémantiques, constitueunaspect
paradoxal et sansdoute leplus intrigantdu tableauclinique.
Leparadoxe n’est pas restreint à lamémoire rétrospective
(tournée vers lepassé) ; elle concerne aussi laprojection
vers le futur (oumémoiredu futur), qui peut être enpartie
Figure2
-Lesdeuxpatients, JPLetEP, sontatteintsdedémence sémantiquemais l’atrophie
cérébralerévéléeparuneanalyseenvoxel-basedmorphometry (VBM) est enpartiedifférente
dans lesdeuxcas. Ilsprésentent tous lesdeuxuneatrophiedesgyri temporal latéral et frontal
supérieurmédianbilatéral (encerclésen jaune).Uneatrophiede l’hippocampeantérieur
(encercléenvert) est enplusdétectéechezJPL, alorsqu’onne laconstatepaschezEP.
ContrairementàJPL,EPréussi à serappelerdupassé (signe+envert),maisaucundesdeux
patientsneréussità seprojeterdans le futur (signexenrouge).L’atteinte frontale supérieure
médiane, chez lesdeuxpatients, jouecertainementunrôle importantdans leur impossibilitéà se
projeterdans le futur.Ladifférenced’atrophiecérébraledans larégionhippocampiquepermet
derendrecomptedesdifférencesdeprojectiondans lepassé.Parailleurs, lesétudesen IRM
fonctionnelled’activationmenéesparArmelleViardet sescollaborateurs suggèrentdifférents
mécanismesdecompensationquipermettentauxpatientsdepalierenpartie leursdéficits.
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