La Lettre 44 - page 19

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L’hibernation : un très profond sommeil ?
André MALAN
(Institut des Neurosciences Cellulaires
et Intégratives, CNRS et Université de Strasbourg)
L’hibernation des mammifères a longtemps été considérée
comme une adaptation au froid. On sait maintenant qu’elle
est avant tout un moyen de survivre une période de disette,
car elle existe chez de nombreuses espèces de l’hémisphère
Sud en l’absence d’exposition au froid. Après une période
estivale où l’animal a accumulé des réserves, généralement
adipeuses, il s’agit de les faire durer jusqu’au retour des
beaux jours (parfois 6 à 8 mois). On distingue l’hibernation
de la torpeur quotidienne, qui survient notamment en réponse
au jeûne. Torpeur quotidienne et hibernation ont en commun,
d’une part un abaissement contrôlé et réversible de la tem-
pérature centrale (hypothermie, ou mieux hétérothermie) qui
réduit les besoins énergétiques par un effet thermodyna-
mique décrit par la loi de Van ‘t Hoff-Arrhenius (Q
10
) ; d’autre
part une dépression métabolique, c’est-à-dire une inhibi-
tion non thermo-dépendante de processus métaboliques
multiples, ayant pour effet de réduire fortement les besoins
énergétiques de l’organisme. La torpeur quotidienne (qui
n’est pas un sommeil, cf ci-dessous) est limitée à la période
de repos, et l’horloge circadienne y met fin quand celle-ci
se termine. Dans l’hibernation au contraire, les épisodes
de torpeur durent plusieurs jours à plusieurs semaines, au
cours desquels la température centrale s’abaisse jusqu’au
voisinage de la température ambiante (sauf chez les ours),
pour revenir enfin à une phase d’euthermie (37°C environ)
ou « réveil », qui dure généralement moins de 24 heures.
Ce cycle se répète pendant toute la saison d’hiver.
Un réchauffement coûteux
Dans la torpeur comme dans l’hibernation, les réchauf-
fements spontanés périodiques demandent une grosse
dépense d’énergie (souvent plus de 80 % de la dépense
totale de l’hiver) et leur durée croit très vite avec la masse
corporelle. C’est pourquoi l’hibernation, qui est présente
depuis les Monotrèmes jusqu’aux Primates, n’existe sous
sa forme classique que chez des espèces de taille petite ou
moyenne. Chez les ours, l’abaissement de température se
limite à quelques degrés, la réduction de la dépense étant
assurée essentiellement par la dépression métabolique.
Comment économiser ?
La dépression métabolique met en jeu un ensemble de mé-
canismes : phosphorylation ou sumoylation des protéines,
silençage de gènes, acétylation des histones…, au niveau
des organes périphériques comme du cerveau
(1)
. Les mé-
canismes mis en œuvre concernent à la fois l’inhibition des
processus consommateurs d’énergie et la conservation des
protéines dont le renouvellement cesse d’être assuré pen-
dant la torpeur. La synthèse protéique est en effet largement
arrêtée, au niveau de l’expression des gènes comme de la
traduction. Pour le neurobiologiste, il reste encore à corréler
biochimie, organisation régionale et fonction, en liaison avec
l’alternance torpeur-réveil. Les expérimentations pharma-
cologiques commencent enfin à aboutir : ainsi, l’adénosine
interviendrait au cours de l’induction de la torpeur
(2)
et le
récepteur NMDA dans le déclenchement du « réveil »
(3)
,
tandis que la ß-endorphine contribuerait au maintien de la
torpeur
(4)
. L’important effort du réchauffement périodique,
avec à la fois le risque d’hypoxie régionale et une production
intense de radicaux libres, offre un modèle intéressant pour
les études sur la neuroprotection
(5)
.
Sur le plan fonctionnel, on sait depuis longtemps que les
principales régulations végétatives sont conservées dans
la torpeur, avec des valeurs différentes mais souvent avec la
même précision que dans l’euthermie estivale: c’est le cas
notamment des fréquences respiratoire et cardiaque, de la
température centrale, des variables acido-basiques du sang
et des liquides intracellulaires.
La torpeur est-elle un sommeil ?
Pour la torpeur de l’hibernation, le problème n’est encore
que partiellement résolu. Chez le spermophile, on savait que
l’entrée en hibernation se faisait à partir du sommeil à ondes
lentes, la fréquence des ondes diminuant progressivement
avec la température centrale jusqu’à leur disparition complète
en dessous de 8°C (avec toutefois un maintien des potentiels
évoqués auditifs). On en avait conclu que la torpeur était une
extrapolation du sommeil lent. Mais, pendant la phase de
« réveil » entre deux épisodes de torpeur, l’animal est la
plupart du temps en sommeil lent. Se réchauffe-t-il pour
récupérer d’une privation de sommeil ? Effectivement, si
l’on raccourcit la durée de la torpeur par une stimulation,
l’animal dort moins longtemps pendant la période d’euther-
mie suivante. Toutefois, ce sommeil n’est pas un sommeil de
récupération normal car l’injection de caféine n’entraîne pas
de rebond
(6)
. Dans le cas de la torpeur circadienne, on a
également décrit une absence de sommeil, avec un rebond
après la torpeur
(7)
.
Les « réveils » auraient-ils une autre fonction que cette
récupération ? À chaque épisode de torpeur, les neurones
des aires CA1 à CA4 de l’hippocampe sont envahis par la
forme phosphorylée de la protéine tau, caractéristique de
la maladie d’Alzheimer. Mais cette accumulation est com-
plètement réversible et disparaît progressivement au cours
de la phase d’euthermie suivante
(8)
. En dehors de son rôle
toxique dans la maladie d’Alzheimer, la phosphorylation de
la protéine tau pourrait aussi, selon les sites de phospho-
rylation, avoir un rôle neuroprotecteur
(9)
. Parallèlement,
le cycle torpeur-réveil s’accompagne de changements
... « On en avait conclu que la torpeur était une
extrapolation du sommeil lent.»...
... « On distingue l’hibernation
de la torpeur quotidienne»...
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