La Lettre 44 - page 28

La lettre
n°44
ribune libre
Les neurosciences et le Droit :
un dialogue difficile mais nécessaire ou comment
identifier des causalités sans sombrer dans le
déterminisme
|
PAR HERVÉ CHNEIWEISS
(1)
Le Droit souhaite faire appel aux neurosciences pour déterminer
la preuve d’un crime et confondre son auteur, déterminer la
dangerosité d’un individu et en ajuster la peine, développer des
méthodes «thérapeutiques » pour « rééduquer » un délinquant.
Certains résultats de l’imagerie cérébrale sont au centre d’un dialogue
difficile mais nécessaire.
Les Neurosciences ont fait une entrée récente mais remar-
quée dans le champ du politique par plusieurs tentatives
d’instrumentalisation de nos travaux aux fins de répondre à
des attentes sociétales sécuritaires. Ce fut d’abord le très
regrettable rapport d’expertise collective de l’Inserm portant
sur « Les troubles des conduites chez le jeune enfant », suivie
par la recherche de marqueurs, génétiques, biologiques ou
d’imagerie cérébrale pour les délinquants sexuels, puis vint
la discussion de l’imagerie cérébrale fonctionnelle comme
instrument de preuve de la dangerosité d’un individu et se
termina par la rédaction, à mon avis très maladroitement
calquée sur l’article concernant la protection des données
génétiques personnelles, du nouvel article 16-14 de la loi du 7
juillet 2011, ajoutant l’expertise judiciaire au domaine d’appli-
cation potentielle de l’imagerie fonctionnelle cérébrale
(2)
.
Dans le même temps pourtant plusieurs avis éclairés étaient
venus mettre en garde contre la confusion inacceptable entre
recherche scientifique et application dans le domaine légal
de résultats encore très partiels et non validés à l’échelle
d’un individu hors du laboratoire. Ainsi l’avis 116 du Comité
Consultatif National d’Éthique (CCNE) était venu utilement
compléter le travail du Conseil d’Analyse Stratégique
(3)
et
une série d’auditions et de rapports parlementaires enca-
drant la révision des lois de bioéthique
(4)
. J’avais eu en ces
occasions la possibilité de rappeler que l’histoire de l’explo-
ration du cerveau est inhérente à l’histoire de l’humanité et
donc également aux lois que les hommes se sont données.
Toutefois ces auditions et rapports avaient également mis en
évidence que les progrès de la neuroimagerie ouvraient des
perspectives nouvelles qui dépassaient le cadre scientifique
et médical et concernaient la société tout entière, ses pra-
tiques et usages mais aussi l’image de l’individu et le concept
même de liberté de pensée. Cette dimension sociétale, et
en particulier le renouvellement du questionnement sur la
responsabilité individuelle, a été soulignée.
La question centrale qui se pose à nous aujourd’hui est celle
de la signification individuelle des données recueillies quelle
que soit la méthode scientifique utilisée. Une importante
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(1) Président du comité d’éthique de l’Inserm (ERMES). Membre
du conseil scientifique de l’OPECST.
(2) Loi de bioéthique du 7 juillet 2011. Art.16-14 : « Les techniques
d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des
fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre
d’expertises judiciaires. Le consentement exprès de la personne
doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de
l’examen, après qu’elle a été dûment informée de sa nature et de
sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’examen.
Il est révocable sans forme et à tout moment ».
(3) Les notes et rapport d’analyse
Le cerveau et la loi
par Olivier
Oullier et Sarah Sauneron sur
› Les
publications › Les notes d’analyse
(4) Citons par exemple les auditions de l’OPECST organisées par
les députés Alain Claeys et Jean-Sebastien Vialatte du 26
mars 2008.
Exploration du cerveau, neurosciences : avancées
scientifiques, enjeux éthiques
.
-
nationale.fr/13/cr-oecst/CR_Neurosciences.pdf; puis les 29
juin et 30 novembre 2011 sur le thème
Exploration et traitement
du cerveau : enjeux éthiques et juridiques
suivi du rapport à
l’OPECST sur l’
Impact et les enjeux des nouvelles technologies
d’exploration et de thérapie du cerveau
du 13 mars 2012 http://
... « les progrès de la neuroimagerie ouvraient
des perspectives nouvelles qui dépassaient le
cadre scientifique et médical »...
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