La Lettre 44 - page 29

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tion à ce mot bien connu et donc qu’elle l’avait utilisé. On voit
ici, comme naguère pour le « détecteur de mensonges »,
comment les
a priori
guident l’interprétation d’un examen.
Hier, trop d’émotion signifiait culpabilité, aujourd’hui c’est une
absence de réponse en IRMf. Mais comment traiter l’adhésion
qu’un sujet, témoin d’une scène violente par exemple, peut
avoir vis-à-vis d’un souvenir erroné ? L’image cérébrale, si
elle s’avère possible, montrera que le sujet ne se ment pas
et ne ment pas au tribunal, mais en aucun cas ne montrera
qu’il dit « la » vérité, seulement « sa » vérité.
Cette vérité serait-elle meilleure si la mémoire était soutenue ?
C’est ici la question de la neuropharmacologie et d’éven-
tuelles techniques permettant d’améliorer la mémoire qui
est posée. Une grande partie de la justice étant basée sur
le témoignage, ne serait-il pas heureux en effet de pou-
voir bénéficier d’une remémoration plus riche, permettant
au témoins ou à l’accusé de relater avec plus de détails
le déroulement des faits. Le procédé n’est pas nouveau.
L’usage de psychothérapie voir de l’hypnose pour permettre
le témoignage sur des faits traumatisants a déjà été utilisé.
« La victime et la justice seraient les premières bénéficiaires
de la levée d’un blocage au témoignage concernant par
exemple les abus sexuels ou les faits ayant pour témoins
des enfants jeunes », il s’agit là d’arguments avancés par
ceux qui ne verraient que peu d’inconvénients au recours
à ces méthodes pour obtenir des informations. Le sous-en-
tendu de cette acceptation est que ces informations, obte-
nues en levant la barrière de la volonté de l’individu, volonté
consciente ou inconsciente, seraient plus exactes et permet-
traient une justice plus efficace. Et c’est ici que le problème
reste entier. La levée d’une inhibition à la remémoration, ou
la facilitation de la venue à la conscience d’une image de
mémoire ne garantie en rien la validité du témoignage. Le
questionnement qui fait régulièrement la une de l’actualité
sur le crédit à apporter à tel ou tel témoignage, par exemple
celui des enfants, ne sera pas levé par le fait que le récit aura
été obtenu sous l’effet d’une drogue ou après stimulation
directe de certaines aires corticales. Il attestera seulement
que ce récit n’est pas le fruit d’une construction volontaire
consciente au moment du témoignage. Le cerveau est une
puissante machine à émettre des hypothèses sur le vrai
et le faux et à confronter sa perception du réel à celles-ci.
Mais il n’existe pas d’image neurale du vrai.
Cependant, certains juristes se prennent déjà à rêver d’un
monde idéal où l’imagerie cérébrale éliminera tous les biais
possibles. Ici, les travaux actuels indiquant une réaction
particulière du cerveau lors de tests de reconnaissance de
visages, ou de la race de l’individu, conduisent certains à
imaginer demain un test de même nature pour déterminer
le mode de réaction de membres du jury ou de témoins, et
utiliser ces informations à l’appui de la défense ou de l’accu-
partie politique et économique de notre société voudrait y
trouver les bases d’un déterminisme individuel des compor-
tements. Je saluerai donc d‘emblée l’une des phrases de
conclusion de l’avis 116 du CCNE qui, reprenant la fameuse
formulation de Hume « ce n’est pas parce que les choses
sont telles que nous les voyons quelles n’auraient pu être
autres. » l’adapte à la neuroimagerie en « ce n’est pas parce
qu’un comportement est associé à une image que l’image
indique (commentons : prédit) un comportement. », que je
me permettrai ici de reformuler encore en « ce n’est pas
parce qu’une image illustre l’activité cérébrale d’un individu
lors d’un comportement réel ou simulé à un instant de sa
vie que cet individu n’avait d’autre possibilité que d’avoir ce
comportement et de fait, un autre comportement aurait été
associé à une autre image cérébrale ». C’est l’erreur sans
cesse renouvelée de confondre la compréhension d’un code
et l’existance d’un programme déterminé. Cette confusion
a déjà été faite en génétique en confondant l’ADN de nos
chromosomes avec le « grand livre de la vie » qui révèlerait
le destin de chacun d’entre-nous. À cette « génomancie »
succède aujourd’hui une « IRMomancie » qui voudrait lire
dans notre fonctionnement cérébral notre destin. Oui notre
ambition est bien de décrypter le code neural, mais ceci
ne nous permettra ni de lire dans les pensées ni, et même
encore moins, de deviner quelles seront les pensées futures
d’un individu. Connaître une langue et savoir lire permet
d’accéder à tous les livres d’une bibliothèque, mais non de
les connaître avant de les avoir lus, ni de prédire le contenu
de ceux qui rejoindront demain les nouveaux rayonnages.
L’image cérébrale dit l’activité de l’individu au moment où
il agit et ne dit rien de l’histoire qui l’a constituée en tant
qu’individu, ni des activités cérébrales ayant préludées au
choix du comportement observé. Encore moins ce que sera
son comportement dans quelques mois ou années dans un
environnement inconnu de l’expérimentateur.
La justice cherche toujours à établir des faits, et l’IRM, struc-
turale ou fonctionnelle, permettrait d’aller au plus profond de
l’âme de l’accusé comme de celle des principaux témoins,
voici pour des naïfs l’ultime moyen d’obtenir des faits garantis
vrais. Ceci reposerait sur l’idée qu’il existe une vérité neu-
rophysiologique absolue inscrite au sein des circuits céré-
braux. Prenons deux exemples concrets tirés de faits réels.
Commençons par un point positif : aux USA, l’immaturité
cérébrale, plaidée sur la base d’IRM en imagerie de tenseur
montrant une progression de la myélinisation jusque vers 20
ans, a été un support majeur pour repousser l’âge minimal
auquel la peine de mort pourrait être appliquée. Heureuse-
ment pour notre pays, François Mitterrand et Robert Badinter
n’ont pas eu besoin d’attendre les progrès de l’imagerie
cérébrale pour supprimer la peine de mort dès 1981. Plus
récemment et en Inde une jeune femme accusée du meurtre
de son mari a été reconnue coupable parce qu’en IRMf elle
ne « répondait » pas au mot arsenic, suggérant une habitua-
... « ce n’est pas parce qu’un comportement est
associé à une image que l’image indique
un comportement. »...
... « Mais il n’existe pas d’image
neurale du vrai »...
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