La Lettre 44 - page 13

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Sommeil & Mémoire
Géraldine Rauchs (
Inserm-EPHE-Université de
Caen Basse-Normandie, unité de recherche 1077)
Depuis une vingtaine d’années, l’hypothèse selon laquelle le
sommeil favorise la consolidation des souvenirs en mémoire
à long terme suscite un intérêt croissant. Ainsi, les informa-
tions nouvellement acquises sont initialement stockées en
mémoire sous une forme labile et fragile et sont, à ce stade,
très sensibles aux interférences et à l’oubli. Avec le temps
et en l’absence de toute nouvelle exposition au matériel
appris, les régions cérébrales sous-tendant la récupération
des souvenirs vont être réorganisées afin de les stocker de
manière durable. Le sommeil fournirait un environnement
neurophysiologique extrêmement favorable à cette réorga-
nisation cérébrale «
off-line
 ». Cependant, le sommeil et la
mémoire ne sont pas des phénomènes unitaires. En effet,
un cycle de sommeil comporte à la fois du sommeil lent (SL),
lui-même décomposé en sommeil lent léger (stades 1 et 2)
et en sommeil lent profond (SLP), et du sommeil paradoxal
(SP). Chaque stade de sommeil est caractérisé par une
activité électrophysiologique et un environnement neurochi-
mique bien particuliers, leur conférant potentiellement des
fonctions différentes dans le processus de consolidation
mnésique. De la même manière, la mémoire est subdivisée
en différents systèmes en étroite interaction. Deux systèmes
ont été principalement étudiés : la mémoire procédurale ou
mémoire des habiletés et des savoir-faire (par exemple savoir
jouer du piano) et la mémoire épisodique ou mémoire des
événements personnellement vécus situés dans le temps
et l’espace (par exemple la visite du Colisée lors d’un séjour
en Italie l’été dernier).
Dans ce contexte, le rôle respectif des différents stades de
sommeil dans la consolidation mnésique a été très étudié
au moyen de privations partielles de sommeil consistant à
priver le sujet du sommeil de début ou de fin de nuit, périodes
dominées par du SL et du SP respectivement. Plusieurs
études ont ainsi montré un effet bénéfique du SL (SLP et
stade 2) pour la consolidation en mémoire épisodique et du
SP pour les apprentissages procéduraux. Toutefois, d’autres
travaux ont montré des résultats divergents, notamment une
implication du SP pour la consolidation de matériel émotion-
nel ou le rôle conjoint du SLP et du SP pour la consolidation
En haut : intervalles entre ondes PGO chez
un chat intact (A) et décortiqué (B) :
Ordonnées : fréquence des PGO en échelle
logarithmique.
Abscisses : classe par 200 msec.
En bas :
A - Ondes ponto-géniculé-occipitales
(PGO) enregistrés dans le noyau
abducens (VI) pendant une phase de SP
chez un chat.
B - Chez le même animal, 8 jours après
décortication totale. Le pattern des
ondes PGO est totalement différent.
Calibration – 1 sec, 50 microvolts
ment programmés aussi bien chez la souris
que chez l’homme (chez qui le pattern des
mouvements oculaires est identique chez les
jumeaux monozygotes qu’ils soient élevés
ensemble ou à part).
4. Le « code secret » des PGO est déclenché
à partir du pont mais le codage est sous la
dépendance du cortex (surtout frontal). Chez
l’animal décortiqué ou décérébré, le pattern
des PGO ne représente que l’activité auto-
matique du générateur pontique (
Figure 1
).
5. Ainsi, chez l’homme pendant 20 à 30 % de
la durée du sommeil (soit 90 à 100 minutes),
le cerveau reçoit, de façon itérative, une
programmation génétique qui renforce son
individuation psychologique, ce qui permet
de comprendre pourquoi des jumeaux mono-
zygotes élevés ensemble ou séparés peuvent
conserver le même profil psychologique.
6. Enfin, il est possible que chez l’homme
la suppression du SP par des inhibiteurs des
monoamines oxydases (Marplan – Marsilid)
puisse guérir les accès dépressifs par suppres-
sion d’une programmation capable d’induire
un état dépressif. Il serait donc très important
de savoir si les nouveaux médicaments utilisés
en psychiatrie sont capables de modifier les
patterns des PGO (ou des mouvements ocu-
laires du SP) chez l’homme.
1. Le sommeil paradoxal (SP) qui repré-
sente la traduction neuronale du rêve, repré-
sente l’instant le plus dangereux du
continuum
veille-sommeil car le rêveur est paralysé et
souvent soumis à des hallucinations.
L’atonie totale du SP peut survenir pendant
l’éveil dans la maladie de Gelineau ou nar-
colepsie : souvent, la perte de tonus ou cata-
plexie peut être déclenchée par une émotion
entraînant des accidents mortels qui peuvent
survenir si le sujet conduit une voiture, traverse
la rue ou descend un escalier.
2. C’est « pourquoi » le SP est « protégé » par
une heure de sommeil lent (ce qui signifie qu’il
n’y a pas de danger extérieur) et que l’atonie
d’un rêveur dans son lit n’est pas dangereuse.
3. Le système de programmation du SP est
constitué par les patterns des ondes ponto-
geniculo-occipitales (PGO). Celles-ci com-
mandent non seulement les mouvements
oculaires, mais encore la motricité de très
nombreux petits muscles responsables des
mouvements des vibrisses, de la langue,
de la queue (chez le chat), des doigts (chez
l’homme). Ces patterns de PGO peuvent être
enregistrés chez des souris anophtalmiques,
et ne sont pas modifiés par des variations du
milieu extérieur (jeûne, nourriture liquide,
etc…). Les patterns des PGO sont génétique-
Une nouvelle hypothèse sur la fonction de l’activité onirique
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par Michel jouvet
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