La Lettre 44 - page 4

La lettre
Histoire récente des récepteurs aux
neurotransmetteurs
|
par Jean-Marie ZAJAC
istoire des Neurosciences
La théorie du neurone formulée par Ramón y Cajal à la fin du
XIX
e
siècle postule que les cellules nerveuses sont des enti-
tés fonctionnelles autonomes contiguës (et non fusionnées)
transmettant électriquement l’influx nerveux. Le vingtième
siècle va découvrir progressivement la transmission chimique
entre neurones et l’idée de récepteur qui l’accompagne.
Au début du vingtième siècle, Langley et Ehrlich ont in-
dépendamment conceptualisé la notion de récepteurs.
Dès 1878, Langley (1852-1925) étudie l’effet de la pilocarpine
sur la sécrétion salivaire (la pilocarpine stimule la sécrétion
alors que l’atropine la bloque) et propose que ces drogues
agissent au niveau des terminaisons nerveuses sur ce qu’il
qualifiera en 1905 de « substances réceptrices »
(1)
.
Le rôle de Paul Ehrlich (1854-1915) est bien connu ; déjà
en 1897, il postule que sur les cellules, des molécules pos-
sèdent des «chaînes latérales» capables de se lier chimi-
quement aux toxines bactériennes (side chain Theory). En
1900, il remplacera le terme de chaîne latérale par celui
de récepteur
(2)
. Il écrit « corpora non agunt nisi fixata »
(la drogue n’agit pas si elle n’est pas fixée).
Il revient à un étudiant de Langley, A.V. Hill en 1909 d’exposer
une vision quantitative du récepteur par l’intermédiaire d’une
réaction bimoléculaire suivant la loi d’action de masse d’une
manière remarquablement prémonitoire. Dans l’entre-deux-
guerres, Alfred Joseph Clark (1885-1941) et John Henry Gad-
dum (1900-1965) qui avaient été élèves de Langley à Cam-
bridge, développent la théorie de Langley des substances
réceptrices. Clark en 1926 étudie les effets des agonistes en
présence d’antagonistes et par d’ingénieux calculs, il déter-
mine qu’il suffit de 20000 molécules fixées par cellule pour
produire une action mesurable. Clark a suggéré ce qu’on
appelle la théorie de l’occupation des récepteurs : l’intensité
de l’effet pharmacologique d’une substance est directement
proportionnelle au nombre de récepteurs occupés par la
substance. Malgré cela, le concept de chémorécepteur
subit d’importantes critiques de Henry Dale (1875 –1968)
et surtout de W. Straub (1874 –1944) qui soutiennent l’idée
que les poisons, en fait, déforment les membranes en les
traversant.
En 1970, Katz, von Euler et Axelrod obtiennent le Prix Nobel
de Physiologie et Médecine pour leurs travaux sur la trans-
mission chimique entre les cellules nerveuses. Le modèle
aujourd’hui utilisé s’impose : les cellules nerveuses com-
muniquent
via
un messager chimique, le neurotransmetteur
libéré et inactivé au sein d’une structure spécialisée : la
synapse (figure ci-après). Le récepteur devient un élément
de la membrane cellulaire post-synaptique, du cytoplasme
ou du noyau cellulaire qui lie spécifiquement un ligand, tel un
neurotransmetteur ou une hormone, induisant une réponse
cellulaire et conduisant à des modifications physiologiques.
Tout est maintenant en place pour explorer la réalité physique
de ce système de réception.
Les années 70 : les sites de liaison
Les études de la liaison de drogues constituent l’innovation
technique majeure des années 70 qui conduira à l’isolement
biochimique et au clonage de récepteurs. Le récepteur choli-
nergique est un des premiers récepteurs pharmacologiques
caractérisé grâce à l’utilisation de ligands très spécifiques
comme l’alpha-bungarotoxine du venin de serpent
(3)
.
Techniquement, il aura suffi d’un ligand radioactif, d’une pré-
paration de récepteur et une simple méthode de séparation
du ligand libre des complexes ligand-récepteur pour faire
naître la « pharmacologie moléculaire ».
n°44
En quelques décennies, la biologie moléculaire a profondément
bouleversé les principes fondamentaux de la neurobiologie, ainsi
le concept passe-partout de «récepteur» s’est transformé en une
réalité physique aux multiples vertus explicatives. Il s’agit ici de
décrire succinctement et à grands traits comment, depuis qua-
rante ans, ce changement s’est opéré.
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