La Lettre 50 - page 18

La lettre
n°50
ossier
Neuro-anthropologie de l’olfaction :
une approche évolutive
H. Razafindrazaka
1
, V. Pereda
1
, C. Ferden-
zi
2
, F.X. Ricaut
1
, T. Letellier
1
, M. Bensafi
2
,
D. Pierron
1
1
(Équipe deMédecine évolutive, LaboratoireAMISUMR
5288CNRS -UniversitéToulouse III)
2
(Centre deRecherche enNeurosciences de Lyon, UMR
5292,CNRS, INSERM,UniversitéClaudeBernardLyon)
Les récentsprogrèsenchimie, enneuroscienceset enbio-
logiemoléculaireont permisdes avancées spectaculaires
dansnotrecompréhensiondesperceptionsolfactives.Pour
uneodeur, il estaujourd’huipossibled’identifier lesmolécules
volatiles responsables de cetteperception, les récepteurs
permettant leurs détections ainsi que les voies cérébrales
qu’elle recrute. Néanmoins, des questions restent en sus-
pens :
Pourquoi certainesmolécules sont-elles si appé-
tissantes ?D’autres si pestilentielles ? Pourquoi certains
individus vont-ils êtredégoûtés par une odeur et d’autres
pas ?
Pour apporter quelques éléments de réponse à ces
questionsnousproposons ici une réflexion«évolutive»à la
frontièreentreneuroscienceet anthropologie, en se focali-
sant sur lepremiermaillonde lachaînedeperception : les
récepteursolfactifs (RO).
Les récepteursolfactifs
Les récepteurs olfactifs constituent laplus grande famille
géniquedesmammifères.Cesont des récepteurscouplés
aux protéinesG (RCPG) formant une structure composée
de300acidesaminésenvironet 7domaines transmembra-
naires.Les récepteursolfactifssontexprimésà lasurfacedes
neuronessensorielsauseinde l’épithéliumolfactif principal
permettant ainsi dedétecter des signaux chimiques dans
l’environnementproche. L’épithéliumolfactif peut êtreactivé
pardeuxvoies : (i) lavoieorthonasale (à travers lesnarines),
et (ii) lavoie rétronasale (lesmoléculesentrentpar labouche
et atteignent la fente olfactive
via
le nasopharynx). Par la
voie orthonasale, lesRO sont impliqués dans ladétection
de tous types d’odeurs de l’environnement tandis quepar
lavoie rétronasale, ilssontprincipalement activés lorsde la
prisealimentaire. La fonctionolfactive rétronasaleest ainsi
primordialedans laperceptionde laflaveur (uneperception
chimiosensoriellemultiple impliquant entre autres l’odeur
et legoût).
Pressionsdesélectionetmécanismesévolutifs
LamultiplicitédesRO (près de 1000 chez la souris et 400
chez l’Homme)permet auxmammifèresdepouvoirdétecter
et différencier un très large spectredemolécules volatiles.
Le coût énergétique d’un tel système peut être expliqué
par le rôle central que joue l’odorat dans la survie et la vie
de nombreuxmammifères. Ainsi la survied’une souris va
dépendredesacapacitéàdétecter sanourrituregrâceaux
odeurs, ou encore à fuir les odeurs de ses prédateurs ou
d’aliments toxiques. Demême sacapacitéà se reproduire
etdoncà transmettresonpatrimoinegénétiquevadépendre
de sa capacité à trouver unpartenairede reproduction et
cela toujoursengrandepartiegrâceàsonodorat.Lesgènes
impliquésdans laperceptionolfactivevont ainsi êtresoumis
àde fortespressionsdesélectionenpermettant lasurvieet
la reproductiondechaque individu.
Afindemaximiser lasurvieet la reproductiond’un individu,
le système olfactif doit pouvoir caractériser un
stimulus
chimiqueparaumoins2aspects :
(1)
soncaractèreattractif/
répulsif.Un
stimuli
olfactif associéàde lanourritureouaun
partenaire sexuel est souvent caractérisé comme attractif
alorsqu’il seraplutôt répulsif s’il annonceundanger tel que
la présence d’un prédateur ou d’une substance toxique.
Chez l’humaincet aspectpeut êtredécrit comme lavalence
hédonique, qui nous permet de caractériser un
stimulus
olfactif commeagréable/désagréable/neutre
(2)
 ? Ledeu-
xième aspect est la force relative de ce signal chimique.
Appréhendersi laperceptiondusignal augmenteoudiminue
au cours dudéplacement de l’individupermet auxmam-
mifères de fuir oude s’approcher de la sourcedégageant
l’odeur. Il serait eneffet contre-productif des’orienter dans
lamauvaisedirectionet dese rapprocher dudanger.C’est
cettecapacitéqui nouspermetde localiser lasourced’une
odeurdésagréableouagréable. Lacapacitéà identifier un
objet àsaseuleodeurestquant àellemoinsessentielleà la
survied’un individu.Ainsi il estpossibled’êtremisenappétit
parunebonneodeur sans forcément la reconnaîtreoubien
d’être incommodépar unepuanteur dans unepièce sans
avoir à identifier l’animal qui est en traindesedécomposer.
Perceptionhédoniqueet histoireévolutive
La sensibilité àdesmolécules spécifiques et ladistinction
immédiatede leur caractère attractif ou répulsif sont sou-
misesàde fortespressionsdesélection.Chez l’homme, les
odeursdepourri etdecadavres liéesauxmoléculesputres-
cine et cadavérine sont rebutantes et peuvent engendrer
undégoût insupportable allant parfois jusqu’à la nausée.
À l’opposé, lesmolécules volatiles produites par la réac-
tion deMaillard, c’est-à-dire produites lors de la cuisson
d’aliments sont jugées comme agréables et induisent
une appétence pour les viandes ou les pommes grillées
(figure1).D’unpointdevueévolutif, il semblecohérentque
les individusattiréspar l’odeurde laviandegrillée très riche
énergétiquement aient euun avantage sélectif. À l’inverse,
l’aversionpour lesodeursdeviandeavariéeadûêtre forte-
ment sélectionnépuisque laconsommationdecetteviande
est potentiellement mortelle. De lamême façon chez les
primates, laconsommationde fruits richesénergétiquement
étant bénéfique, l’appétence pour les odeurs de fruits a
certainementdûêtresélectionnéepositivement.Dès lors, le
passéévolutif denotreespècecontinueàconditionner (au
moinsenpartie) cequenousclassonsaujourd’hui comme
odeursagréableset désagréables.
Le faitqued’autresmammifèresconsomment volontiersde
la viandeavariéedémontre lecaractèreplastiquedecette
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