La Lettre 50 - page 12

La lettre
n°50
ossier
Sentir : Organe et Sens
Gérard Coureaud
(CentredeRecherche
enNeurosciences de Lyon),
Nanette Yvette
Schneider
(Centredes Sciences duGoût et de l’Ali-
mentation, Dijon),
Guillaume Ferreira (
Labora-
toireNutrition et Neurobiologie Intégrée, Bordeaux)
Introduction
Sentir et Ressentir. La langue française liedirectement ces
deuxmots, soulignant àquel point aptitudeàpercevoirpar
le nez et sensations gagnant tout le corps sont unies, à
quel point olfaction et émotion sont intimement associées.
Et rappelleaupassageceque lasuffisancehumainenous
conduit àomettreparfois : notrequotidiend’animal.
Àuneépoqueoù le fluxd’informations, variéesetmulti-cir-
culantes,estquasi-permanent,nousdevonsplusque jamais
faire le tri entredonnées inutiles, superflues, plaisantes ou
indispensables.Et il n’estpeut-êtrepas innocentquedansce
contexte, enalerte, notrenezsoitdeplusenplusconsidéré.
Demêmeque l’est l’étudecomparativedu fonctionnement
dunezanimal par l’animal Homme. Commeun retour àun
besoinprimaire, denotre réalitéd’êtres sensibles.
Car eneffet, lemondequi nousentoureest unmondehaut
en odeurs. Des odeurs en provenance d’un espace aux
dimensionset limitesnondéfinies, peut-êtremême infinies
(1)
: du cours des rivières au flot des océans, des pôles
glaçants aux savanes brûlantes, des villages isolés aux
métros surchargés, des bureaux partagés à nos chez-soi
douillets. Il n’est d’ailleurs pas besoin d’aller loin pour en
sentir la richesse, et les effets : le corps a ses odeurs que
nulle raison n’ignore. Et même fœtus et nouveau-nés sont
aptesàdétecter et traiter des indicesolfactifs.
Maisquesentons-nousdonc,nousetnoscompagnons
mammaliens?Comment le faisons-nous?Etcomment
y réagissons-nous?Desélémentsde réponseexistent,
provenantde travauxallantde lachimiedesmolécules
à l’étudeducomportement.
1)Odorants, odeurscommuneset phéromones
Certaines odeurs sont dites «communes» car elles ne
portent pas de valeurs spontanément informatives, appé-
titives ou aversives. Une telle valeur peut néanmoins leur
êtreassociéeparapprentissage : selonsonvécu, l’individu
attribue alors à l’odeur perçue une valeur de signal, plus
oumoins pérenne. D’autres odeurs ont, elles, une valeur
intrinsèquede signal. C’est le cas des facteurs sémiochi-
miques qualifiés d’allomones, kairomones, synomones ou
phéromones. Les troispremierscorrespondent àdessubs-
tancesémisesparun individuetperçuesparun individu
d’uneautreespèce,aubénéfice respectif de l’émetteur
(allomones),du receveur (kairomones), oudesdeuxà
la fois (synomones)
(2)
. À l’inverse, les phéromones
agissent commesignaux intra-spécifiques initiateurs,
de façon sélective (
via
le couplage privilégié, voire
exclusif, d’un
stimulus
et d’une réponse), de réponses
prédisposées et reproductibles, comportementales
(phéromones de déclenchement) ou physiologiques
(phéromonesmodificatrices), ayant une fonction avérée
chez les individusqui lesperçoivent
(3)
(figure1). Odeurs
communes et phéromones furent longtemps considérées
commeétant traitéespardeuxentitésdistinctesdusystème
olfactif, respectivement lesystèmeolfactif principal (SOP)et
lesystèmeaccessoire (SOA).Bienquecedogmesoitencore
parfois rencontré dans la littérature, cette dichotomie est
désuète, les faits révélantparfois lecontraire (cf.ci-dessous).
Notonsque, si le fonctionnementdecessystèmesasurtout
étéétudiéencasde sollicitationpar des
stimuli
mono-mo-
léculaires, c’est-à-dire desmolécules présentant, à elles
seules, desqualitésodorantessingulièreset/ouunevaleur
phéromonale, ilscommencentà l’êtredans lecasplusécolo-
giquedesmélangesd’odorants.Dansunmélange, l’individu
Figure1 -
Lesphéromonesagissentdansdescontextescruciaux
pour lesorganismes : (A) laphéromonemammaire (2-méthyl-
2-buténal) émisepar la lapineallaitantedéclenchechez les
nouveau-nés lecomportementpermettant la localisationetprise
enbouche trèsrapidedes tétines ; (B) laphéromoned’alarme
(mélangede4-méthylpentanal etd’hexanal) libéréepar les
ratsenpéril augmente lavigilanceet engendre le« freezing»
(posturecaractéristiqued’immobilité, adoptéeenposition
ramassée) chez lescongénères ; (C) l’éléphanted’Asieémetune
phéromone sexuelle (Z-7-dodécényl-acétate)attirant lemâleet
déclenchant soncomportementdeflehmenpréalableà lamonte
(dessinsdeN.Y. Schneider inspirésdephotosdeH.K.Klausing,
M.DmitryetB.Rasmussen).
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