La Lettre 53 - page 20

LA LETTRE
N°53
ossier
Les jeuxsur-activent-ilsaussi lesystèmede la récom-
pense?
Une question se pose alors. Qu’est-ce qui dans les jeux
d’argentactivespécifiquement lesystèmedopaminergique?
Il sembleévidentque lacombinaisonargentethasardsemble
dangereuse.Le jeupathologiquepeutêtreconsidérécomme
la recherched’ungainassociéàune incertitudeexcessive.
L’incertitudeest ici définiecomme l’incapacitéàprédire le
résultat d’une action. Or, les neurones dopaminergiques
n’encodentpasseulement la récompenseattendue (legain),
maisaussi d’autresattributsassociésàcette récompense,
tels que l’incertitude, le risque, ou la nouveauté
(6)
. Dans
l’apprentissagepar renforcement, cecodagedesattributs
associés à la récompense est conceptualisé comme un
bonusd’exploration, c’est-à-direunevaleur supplémentaire
attribuée à des actions nouvelles ou aux conséquences
incertaines
(8)
.Cettevaleur supplémentaire favorise l’explo-
ration des actions pouvant apporter des informations, et
contrebalancerait ainsi la tendanced’un individuàexploiter
exclusivementdesoptionsdéjàconnues.Cemécanismede
bonusestadaptatif pour l’organismeenquestion,car l’exploi-
tationpurepeut êtrepréjudiciabledansdesenvironnements
changeantsoucomplexes.Ceci suggèredoncque l’impré-
dictibilitéd’une récompense (qui estmaximaledansun jeu
impliquant lehasard)active lesystèmedopaminergique, en
«s’ajoutant »à l’activation liéeà la récompenseenelle-même
(l’argent,dans lecasdes jeux).Dans lecadreartificiel d’un
casinooudes jeuxàgratter, cemécanismedebonusn’est,
parcontre,plusadaptatif. Il n’yapas réellementd’information
àgagner (lesprobabilitéspeuvent êtreconnues),maisvrai-
semblablement uneexcitationàdécouvrir le résultat d’une
action aux conséquences imprévisibles. Cela expliquerait
pourquoides individus,mêmesanspathologiesparticulières,
sont attiréspar les jeuxd’argent alorsque leschancessont
contreeuxet qu’enmoyenne ils sont sûrsdeperdre.
Comorbiditésentre jeuet drogues : l’exemplede la
nicotine
Hasardet argent secombineraientdoncpourproduireune
activationdusystèmedopaminergiqueetdu renforcement.
Cette activation est-elle suffisante pour détourner le sys-
tèmeet basculer d’uncomportement renforcémaisstable,
àunepertedecontrôle?La réponsen’estpasencoreclaire
aujourd’hui,mais la relative faiblessedupouvoiraddictif du
jeu, encomparaisondessubstancesd’abus, est enaccord
aveccettemoindresur-activationdesneuronesdopaminer-
giques, qui serait doncmoins susceptibled’aboutir à une
pertede contrôle. Enfin, pour comprendre cettepertede
contrôle,malgrédeseffetsdopaminergiquesdirects faibles,
il est peut-êtrenécessairede relever qu’unegrandepartie
des joueurs excessifs souffred’une comorbidité avecdes
addictions aux substances d’abus
(9)
. Ces comorbidités
pourraient s’expliquer par une sensibilité plus grande du
systèmedopaminergique, soit préexistante
(4)
, soit due à
unepremièreaddiction favorisant l’apparitionde laseconde.
Lacomorbiditéentreaddictionà lanicotineet jeuxpatholo-
giquesestparexemple très importante.Lanicotinedétourne
lasignalisationcholinergiqueendogèneenexerçant sesef-
fets renforçant
via
sonactionsur les récepteursnicotiniques.
Mais lanicotineaffecteégalement lesdécisionsqui nesont
pas liéesà laprisedenicotineelle-même
(10)
. Les fumeurs
présentent ainsi desmodifications du compromis explora-
tion-exploitation et de la sensibilité au risque. Deplus les
récepteursnicotiniqueset lamodulationcholinergiquesont
importantsdans le traitementde l’incertitudepar lesystème
dopaminergique
(8)
. L’ensembledecesdonnées suggère
une convergence dangereuse entre nicotine, récepteurs
nicotiniqueset jeudehasardsur l’activitédopaminergique.
R
éférences
(1) Jeux de hazard et d’argent : contextes et addictions. Rapport. Paris :
Leséditions Inserm, (2008). XIV –479p. – (Expertisecollective).
(2) Blaszczynski, A.,Nower, L. (2002). Addiction97: 487–499.
(3) American PsychiatricAssociation. (2013). Diagnostic andStatistical
Manual of Mental Disorders. 5th ed. Washington, DC: American
PsychiatricAssociation.
(4) Verdejo-García,A, et al. (2008).NeurosciBiobehavRev32(4): 777-810.
(5) Grant, J.E., et al. (2016). ProgNeuro-Psychopharmacol Biol Psychiat
65:188–193.
(6) Lak, A., et al. (2014). ProcNatl AcadSci USA111: 2343–2348.
(7) Redish, A.D., (2004). Science306 : 1944–1947.
(8) Naudéet al., (2016).NatNeuro19: 471–478.
(9) Lorains, F.K., et al. (2011). Addiction106: 490–498.
(10) Addicott,M.A., et al. (2013). ExpClinPsychopharmacol 21 (1): 66–73.
LES ADDICTIONS À L’EXERCICE PHYSIQUE
FRANCIS CHAOULOFF
(NeuroCentre INSERM
U1215, ÉquipeEndocannabinoïdes&NeuroAdaptation,
UniversitédeBordeaux, Bordeaux)
Les institutions de santé publique recommandent que la
pratique de l’exercice physique fasse partie intégrante
de l’arsenal visant à prévenir les nombreuses patholo-
gies associées à notremode de vie sédentaire (World
HealthOrganisation report 2003, expertise INSERM2008).
Malheureusement, comme toutepratiqueexcessive, l’exer-
cicephysiquepeut, dans uneminoritéde cas, provoquer
une addiction. Mais quand onparled’exercicephysique,
de quoi parle-t-on exactement ? L’exercice physique se
distingue de l’activité physique (i.e. une suite demouve-
ments générés par l’activitémusculaire et qui requièrent
de l’énergie) par le fait que c’est une activité planifiée et
structuréequi est effectuéeselonunprotocoled’intensitéet
de fréquence visant àaméliorer la santéphysiqueetmen-
tale.Commeon leverraci-dessous, c’est leglissementd’un
mode récréatif à unepratique compulsive et exclusivede
cetteactivitéplanifiéeet structuréequi estundesmarqueurs
(avec lessymptômesdemanque)de l’addictionà l’exercice
physique. Onnotera à cepropos l’utilisation fréquentepar
lesmédia français du terme «bigoréxie» en lieu et place
1...,10,11,12,13,14,15,16,17,18,19 21,22,23,24,25,26,27,28,29,30,...48
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