La Lettre 53 - page 21

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de « l’addiction/la dépendance à l’exercice physique».
Cetteutilisationest incorrectecar elleest la traductionsim-
pliste du terme anglo-saxon «bigorexia», définissant la
pratique excessived’activités visant àmuscler à outrance
lecorpsdansunbut esthétique (telle leculturisme).
L’exercicephysique, uneaddictionpositive?
Historiquement, lapremièremiseenévidenced’unedépen-
dance à l’exercicephysiquedatede 1970, date à laquelle
il a été rapporté des altérations de la qualité du sommeil
associées àdes étatsd’anxiétéchezdes étudiants sevrés
de3-4sessionsdesport hebdomadaires.Demanièreanec-
dotique, mais révélatrice, l’auteur de cette étude indique
qu’il n’a pu étudier les effets d’un sevrage à long terme
chez des étudiants pratiquant 5-6 sessions de sport heb-
domadaires, et cemalgré une rémunération conséquente,
le sevrage étant tropmal vécu par ces étudiants. Six ans
plus tard,Glasserdéfinit, sur labased’entrevues, leconcept
d’addictionpositive, qu’elle soit physique (sport) oumen-
tale (méditation), qu’il différenciedesaddictionsnégatives
(aux drogues, au jeu, à la nourriture) par les bienfaits phy-
siquesetpsychiquesquecetteaddictionprocure.Pour illus-
tration, cetteaddiction,par seseffetsanti-stress,permettrait
d’éviter l’utilisationd’antidépresseursoud’anxiolytiques
(1)
.
Ceconceptd’addictionpositiveaété rapidementcritiquésur
labasedes effetsdépressogènes et anxiogènesde l’arrêt
de l’exercicephysique. Àpartir de ce constat, l’addiction
à l’exerciceaétédéfiniecommeétant négativeeuégardà
sapratique compulsive et obsessionnelle, génératricede
troublespsychiques importants lorsde son sevrage.
Prévalencede l’addictionà l’exercicephysique
Aujourd’hui, l’addictionà l’exerciceestdéfinieselondifférents
critèresqui englobent sonaspect obsessionnel, compulsif,
répétéet unsyndromedemanquequi associedépression,
anxiété, difficultédeconcentrationet extrême tensionpsy-
chologique/physique
(2-4)
.Cettedimensionobsessionnelle
et compulsive peut amener l’individu à se désintéresser
totalement d’autres activités (professionnelles, familiales),
provoquant alorsunappauvrissement social. Lesseuls liens
sociauxpouvant alors se résumer aux rencontresdans les
espaces sportifs (salles de gymnastique et de remise en
forme)oudans lesexpositionsdematérielsetd’équipements.
L’addiction à l’exercice suit le cheminement observépour
d’autresaddictions, i.e. une transitiond’unétatde renforce-
ment positif (j’aimepuis je veux) àunétat de renforcement
négatif (jepratiquepouréviter lesconséquencesnégatives,
supposéesou réelles,de l’arrêt).Cedernierpoint est illustré
par l’observation trèssouvent rapportéed’unepoursuitede
lapratiquequotidiennede l’exercicephysiquemalgrédes
blessures, cette poursuite contribuant logiquement à les
aggraver. Malgré cet état d’aggravation, ledéni l’emporte
aupointdepasseroutre l’avismédical et lanécessitéd’une
abstinence totale, cette dernière étant vécue comme un
véritable facteur de stress.
Leportraitdudépendantà l’exercicephysique, telquedécrit
ci-dessus,pose laquestionde laprévalencedecetteaddic-
tion.Leschiffressont trèshétérogèneset varientdequelques
pourcents à des dizaines de pourcents. Cette variabilité
s’expliquepar l’hétérogénéitédespopulations étudiées, la
taille des populations interrogées, mais également par la
diversitédeséchellesutiliséespourqualifier l’exercicephy-
siquedepratiqueaddictive.Eneffet, l’absencede l’addiction
à l’exercicephysiquedans lesdifférentesversions révisées
duDiagnostic andStatistical Manual of Mental Disorders
(DSM) - y compris dans sadernière version où seul le jeu
(«gambling»)figureparmi lesaddictionscomportementales
–aprogressivement donnénaissanceà l’établissement de
questionnaires sedifférenciant par le typed’exercicephy-
siqueauxquels ilss’intéressent, par lanaturedesvariables
associéesà l’addictionqu’ils identifient et/ou lesdifférentes
dimensionsde lapersonnalitéqu’ilscernent
(5)
. L’utilisation
d’outilsadéquats indiqueque3-4%de lapopulationsportive
sembledépendantede l’exercice. Apparemment faible, ce
pourcentage représentequandmêmeunchiffreabsoluélevé
euégardaunombre importantdepratiquants (parexemple,
autour de0,3%de lapopulationgénéraleauxÉtatsUnis).
Si cechiffrededépendanceprimaireà l’exerciceest faible,
ilestbeaucoupplusélevédans ladépendancesecondaire
(6)
.
On regroupesousce terme lapopulationsouffrantde troubles
descomportementsalimentaires (e.g.boulimie, anorexie)et
utilisant l’exercice physique demanière compulsive pour
ses effets cataboliques. Deplus, alorsque ladépendance
primaire semble privilégier les hommes, la dépendance
secondaireconcerneessentiellement les femmes. Le faitde
brûlerdescalories (leplussouvent dansunbut esthétique)
peutégalementêtre recherchédans ladépendanceprimaire,
mais à ladifférencede ladépendance secondaire, il n’en
estpasà l’origine.Différentesétudesont tentédedresser le
portrait typede lapersonnesouffrantd’addictionà l’exercice.
Encequi concerne lanaturedusportpratiqué, lesdisciplines
à forte intensitéassociés (culturisme)oupas (courseàpied,
triathlon) à une recherche esthétique sont leplus souvent
citées. Ainsi, il a été proposé que dans la course à pied
cettepratique intensivesoit liéeà la recherchedeceque les
anglo-saxonsappellent le« runner’shigh»,cetétataucours
duquel lepratiquanta lasensationd’êtredansunétat second
(absencededouleur,déconnexionspatio-temporelle,étatde
bien-être).Néanmoins, l’intensitén’estpasuneconditionsuf-
fisante ;pour illustration, unentraînement intensif envuedes
JeuxOlympiques ne rendpas unathlètedépendant. Chez
lapersonnevulnérable, c’est ledésirconstantde repousser
ses limites,plusque l’intensitéparelle-même,qui va favoriser
ladépendanceà l’exercicephysique.Cettevulnérabilitéest
accrue chez les personnes anxieuses, obsessionnelles,
compulsives, perfectionnistes et/ou égocentriques. Il n’est
doncpassurprenant quedesdépendancescroiséesaient
été rapportées, i.e. l’addiction à l’exercice étant associée
àunedépendanceàune substance (nicotine, alcool) ouà
uneautreactivité (travail, sexe), et ce, avecdesprévalences
plus fortesquedans lapopulationgénérale.Deplus, l’addic-
tion à l’exercicephysiquepeut elle-même êtregénératrice
d’addictions à des substances permettant d’augmenter
les performances (cocaïne, caféine, corticostéroïdes…).
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