La Lettre 53 - page 19

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lessystèmesdopaminergiques,qui construisentnos relations
aux récompenses dans l’environnement et sous-tendent
donc nos plaisirs ordinaires. Les drogues détournent ces
systèmesdopaminergiquesde leur fonctionnement normal,
et perturbent lamise en place d’apprentissage associa-
tif par récompense, appelé renforcement. En stimulant le
système dopaminergique, les drogues d’abus induisent
une libération importante de dopamine dans les régions
cibles, tellesque lenoyauAccumbenset lecortexpréfrontal.
Les changements neuronaux, notamment synaptiques,
induits par la libération répétéededopamine laissent des
traces et aboutissent non pas à un renforcement normal
mais à un comportement compulsif de recherchededro-
gues.Cettepropriétédesdrogues joueun rôlecentral dans
leur capacité à associer des
stimuli
environnementaux et/
oucomportementaux avec les effets récompensantsde la
drogue, et àentraînerun individudansdescomportements
aberrantsorientés vers la recherchede ladrogue.
Lesdroguesdétournent lesystèmede la récompense
L’hyper-activation du système de la récompense par des
substancesexogènesserait doncà l’originede lapertede
contrôle.Cettehyper-activations’expliqueraitentreautrespar
le fait que lastimulationdusystèmedopaminergiquepar la
drogueexogènen’est pascompensablepar dessystèmes
de rétrocontrôlenaturels.Demanièreplusprécise, l’activité
desneuronesdopaminergiquesest classiquement concep-
tualiséecommeune«erreurdeprédictionde récompense»,
signalant si l’onaobtenuplusoumoinsde récompenseque
prévu
(6)
.Cesignal sert àapprendre : uneactionqui amène
àun résultatmeilleurquecelui attenduest renforcée, tandis
qu’unedéceptiondiminue lapropensionàeffectuer l’action
qui l’acausée.Dans lecasd’une récompensenaturelle (de
lanourriturepar exemple), les neuronesdopaminergiques
s’activent en cas de récompense inattendue, déclenchant
l’apprentissage, mais une fois qu’on s’attend à obtenir la
récompense (on obtient autant queprévu), ces neurones
nes’activent plus : l’apprentissageest stableet lecompor-
tement contrôlé. Dans lecasd’uneactivationexogènepar
unesubstanced’abus, cesystèmeestdétourné : ladrogue,
mêmeattendue,activeraitpharmacologiquement («automa-
tiquement ») lesystèmedopaminergique
(7)
.Cemécanisme
d’apprentissageaberrant, pourrait êtreunedesclésexpli-
quant lapertede contrôle. Cette hypothèsepose unpro-
blèmepourexpliquer lesdépendancescomportementales,
qui doivent uniquement s’appuyer sur desmécanismesde
renforcement «naturels», internesaucerveau, caraucune
substanceexogènenevient sur-activer lesystème. Si dans
le cas des jeux de hasard, les récompenses ne suscitent
qu’une réponse«normale»desneuronesdopaminergiques,
oncomprendmal comment lesystèmepeutêtre«détourné»
parpertede rétro-contrôle, et aboutiràunehyper-activation.
Descomportementscomme le jeupeuventdoncnécessiter
des ingrédientssupplémentairesoudesdysfonctionnements
spécifiquesafindeproduireunedépendance.
MÉCANISMES NEUROPHYSIOLOGIQUES DE
L’ADDICTION AUX JEUX
PHILIPPE FAURE, MALOU DONGELMANS,
JÉRÉMIE NAUDÉ
(
SorbonneUniversités,UPMCUniv.
Paris06, INSERM, CNRS,NeurosciencesParisSeine,
Institut deBiologieParisSeine (NPS - IBPS), Paris)
L’étudede l’évolutiondes jeuxdehasardetd’argent
(1)
,met
en évidence i) une inflation et unediversificationde l’offre
avecenparticulier l’apparitioncesdernièresannéesde jeux
en ligne, ii)uneaugmentationdessommesmisesen jeuxet
iii) l’expansionduphénomènede jeuexcessif. Partout, des
individus jouent et parient sur des jeux de hasard et des
événements, et laplupart le font sans rencontrer lemoindre
problème. Cependant, certaines personnes développent
des comportements problématiques, voirepathologiques
liés à cettepratique, qui perturbent leurs activités person-
nelles, familiales ouprofessionnelles. L’expansionde ces
comportements problématiques a amené à reconsidérer
aujourd’hui lanaturedu jeupathologique
(2)
. Laquestionde
laclassificationdece troubleaété très largementdébattueet
troishypothèsesémergent : celled’un troubleobsessionnel
compulsif, celled’un« troubleducontrôledes impulsions»
ou celled’un trouble addictif. C’est maintenant dans cette
dernièrecatégoriequ’apparaît ce troubledans lacinquième
éditiondumanuel
Diagnostique et statistiquedes troubles
mentaux de l’AssociationAméricaine de Psychiatrie
(3)
.
Cette intégrationdu jeucompulsif dans lechampdesaddic-
tions reflèteque :
- la symptomatologiede ces pathologies (addiction àdes
substancespsychotropesetaddictionaux jeux)se recouvre.
Dans leDSM-5
(3)
, lescritèrespourdéfinirun troubledu jeu
incluent, commepour les troubles liés à l’usage abusif de
substances, la tolérance, lemanqueou lapertedecontrôle.
Bienquecertainscritèressoient spécifiquement énumérés
pour les troublesdu jeuou la toxicomanie, ils sont souvent
applicablesauxdeux.
- ilspartagent denombreux facteursétiologiques. Les fac-
teursdevulnérabilitésont par exemple identiques. Il existe
notamment des facteursgénétiques, cequi souligne l’héri-
tabilitéde la vulnérabilitéàces troubles
(4)
.
- il est suggéré enfin que lesmécanismes cérébraux qui
sont associés à ces pathologies sont semblables. Le jeu
pathologique implique lesmêmes voies neurobiologiques
qui modulent la récompense, les comportements impulsif
et compulsif, et l’humeur
(5)
.
Unebaseneuralecommuneauxaddictionsà ladrogue
et au jeu?
L’hypothèsed’unsocleneuronal communauxaddictionsà
dessubstancesetàdescomportementsn’estcependantpas
sanssouleverdeproblèmes. Lesmécanismesdebasedes
droguesd’abussontaujourd’huibiendétaillés.Onconsidère
quecelles-ci ciblent lessystèmescérébraux,principalement
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