La Lettre 46 - page 14

La lettre
n°46
ossier
… certains groupes neuronaux, initialement
impliqués dans les transformations visuomotrices
et laprogrammationdesmouvements de lamain,
se spécialisent dans l’écriture sous l’impulsion
d’un apprentissageprécoce, long et intensif…
Cette hypothèse est aujourd’hui étayéepar plusieurs des-
criptionsdecasd’agraphiemotrice«pure», c’est-à-direde
troubles neportant que sur legested’écriture et indépen-
dants de l’effecteur utilisé, qui indiquent que l’intégritédu
gested’écrituredépenddedeux régions de l’hémisphère
gauche (chez des droitiers), l’une pariétale supérieure et
l’autreprémotrice (l’aired‘Exner). L’implicationdecesdeux
régions a été confirméepar d’autresméthodes (IRMf, sti-
mulationélectrique intracorticale)etpardesméta-analyses
récentes
(2)
, cequi constitueactuellement unedonnée ro-
buste. Lesméthodes d’imagerie indiquent toutefois que la
positionexactede l’aired’Exner le longdugyrusprécentral
n’estpassi claire.Certainesétudes trouventdesactivations
trèsdorsales,auniveaudugyrus frontal supérieur,etd’autres
une régionventrale justeau-dessusde l’airedeBroca, à la
jonctionentre legyrus frontalmédianet legyrusprécentral
(figure1). Il reste sansdoutebeaucoupà fairepour locali-
serprécisément cette régionet comprendresespropriétés
fonctionnelles.
Depuis les premières observations d’Exner, la littérature
confirmedoncquecertainespartiesducerveau, dans les
lobes frontal et pariétal de l’hémisphère gauche pour les
droitiers, sont « spécialisées»dans lesgestesgraphiques.
Cette idéeest-ellevraiment réaliste?Historiquement, cette
hypothèsea suivi ladécouvertedeBroca (1861) avec son
centredu langageparlé.Pourtant,onvoitmal,étantdonné la
très récenteapparitionde l’écritdans l’histoirede l’humanité,
comment l’écriturepourraitêtregénétiquementprogrammée
dans notre cerveau. L’explication la plus logique est que
certains groupes neuronaux, initialement impliqués dans
les transformations visuomotriceset laprogrammationdes
mouvementsde lamain, sespécialisentdans l’écrituresous
l’impulsiond’unapprentissageprécoce, longet intensif (on
saitque l’expertisemotrice,parexemplepourun instrument
demusique, a un effet important sur le fonctionnement et
mêmesur l’anatomiedusystèmenerveuxcentral).Plusieurs
auteurs font cettehypothèsedans lecasdusystèmevisuel
impliquédans la reconnaissancedesobjets,dontunepartie
évoluerait versune spécialisationpour la lecture.
Substratscérébrauxde l’écriture: un rôledans la
lecture?
Il y ades raisons, deplus enplus nombreuses, depenser
quecertainsprocessuset régionscérébralesmisen jeudans
l’écritureont également un rôledans leversantperceptif de
l’écrit: la lecture. Une illustrationde cette idée, très anec-
dotique, est unepatientedécritepar leneurologuePicken
1924
(3)
, qui après un accident vasculaire cérébral déve-
loppauneaphasie:ellenepouvaitpass’exprimeroralement,
necomprenait pas ses interlocuteurs, et surtout était inca-
pablede lire.Malgrécela, elleétait trèsdésireused’écrire.
Elle écrivait peu spontanément mais, par contre, copiait
tout ce qui se trouvait à sa portée, pourvu que lesmots
soient en tchèque, sa languematernelle. Ce trouble, que
Pickqualifiad’écho-graphie,démontrait selon leneurologue
«unécho-réflexe latentpré-existant »déclenchéseulement
par laperceptiondemots familiers. Ilmontreque lescircuits
cérébrauxsous-tendant lectureetécrituresontprobablement
si fortement associésaucoursde l’apprentissage initial que
la lecturesembleévoquerautomatiquementune« traduction
motrice». Chez les sujets bienportants, cette association
automatique est vraisemblablement inhibée pour ne pas
s’exprimer au niveau comportemental, mais elle pourrait
êtredémasquéepar une lésioncérébrale.
… La lecture ne dépendrait donc pas uniquement
de régions visuelles ventrales comme cela a été
longtemps supposé, mais également de régions
motrices qui codent le gested’écriture…
L’idée selon laquelle les processus de production écrite
et de reconnaissance visuelle des lettres sont en étroite
interaction, car associés très précocement dans l’appren-
tissage, est désormais admise dans la communauté et a
été confirméepar plusieurs équipes et par une variétéde
techniques
(4)
. Par exemple, on sait qu’une lésionde l’aire
d’Exnerpeut se traduireparunegrandedifficultédupatient
à écrire lemoindre caractère. Or, certains de ces patients
peuvent également présenter une alexie, c’est-à-dire un
troublede ladiscriminationet de la reconnaissancedeca-
ractères empêchant la lecture
(5)
. Ainsi, lorsque les repré-
sentationsmotricesdes lettressontdésorganisées, l’accès
à leur identité àpartir d’entrée visuellepeut êtreperturbé.
Laparticipationdes connaissancesmotrices de l’écriture
à laperception visuellede lettres isolées peut également
être testéedirectementgrâceàdesprotocolesen imagerie
cérébrale. Les premiers travaux réalisés dans cedomaine
ont utilisédescaractèresKanji (idéogrammes), et ont révélé
uneactivationd’airessensorimotricesactivéesaucoursde
l’écriture. Des résultats similairesont étéobtenusavecdes
caractères romains
(4)
. La lecturenedépendrait doncpas
uniquementde régionsvisuellesventralescommecelaaété
longtemps supposé, mais également de régionsmotrices
qui codent legested’écriture.
Pour vérifier l’importance dumode d’apprentissage de
l’écrituredans lamiseenplacedecedoublecodage, nous
avons réaliséuneexpériencedans laquellenousavons fait
apprendreàdesadultesdescaractères inconnus, soit à la
main, soit sur un clavier d’ordinateur sur lequel les repré-
sentationsgestuelles sont très appauvries
(6)
. Nous avons
pu tester les performances comportementales des sujets
aprèsapprentissagemaisaussi, dansundeuxième temps
coupler mesures comportementales et activations céré-
brales (IRMf) en fonctionde lamodalitéd’apprentissage.
Nousavonsmontréque lamodalitéd’apprentissageaffec-
tait fortement lacapacitédessujetsà reconnaître l’orienta-
tiondes caractères (l’apprentissage au clavier donnait de
moins bonnes performances). Cela se traduisait par des
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