La Lettre 46 - page 5

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Laméconnaissance des troubles de la
mémoire dans l’ictus amnésique idiopa-
thique
| PAR Mathieu Hainselin, Peggy
Quinette, Fausto Viader et Francis
Eustache
(CRP-CPO, UniversitédePicardie Jules
Verne, Inserm, EPHE, UniversitédeCaen, CHUdeCaen)
Notre équipe a étudié laméconnaissancedes troubles
dans l’ictusamnésique idiopathique (IA), une forme transitoire
d’amnésiemassived’apparitionsoudainedont l’étiologieest
inconnue
(1)
.
Aucun consensus n’émergedans la littérature, les patients
étant décrits commepartiellement ou totalement conscients
de leurs déficitsmnésiques alors que d’autresméconnaî-
traient totalement leur amnésie. Ces discordances entre les
étudespourraient avoirplusieurs typesdecausescomme les
modalitésde l’évaluationde laméconnaissancedes troubles
(patients parfois non questionnés spécifiquement sur leur
mémoire) ou lemoment de réalisationdecetteévaluationau
coursde l’IA:de laphaseaiguë (aucunnouveausouvenirpos-
sible)au lendemainenpassantpar laphasede récupération
(certainsnouveauxsouvenirspossiblesmalgré lapersistance
decertains troublesmnésiques).Cetteétudevisait àévaluer
systématiquement la connaissanceque les patients avaient
de l’amnésieainsi que lesmodificationsde l’humeuraucours
de l’IA: 52patients (20durant laphase aiguë, 16 au cours
de laphasede récupérationet 16 le lendemainde l’épisode)
ainsi que14 sujets sainsappariésont été inclus.
L’échelle,miseaupointpourévaluer laconnaissanceexplicite
des troublesmnésiques, est inspiréedes travauxdeBisiach
et al
.
(2)
dans l’héminégligence. L’expérimentateurdevait tout
d’aborddemander au patient s’il avait connaissance d’un
déficitmnésique.Si cen’étaitpas lecas, une tâchede rappel
d’histoire,pour laquelle lepatient échouait systématiquement,
étaitproposéeafindemettreenévidence ledéficitmnésique.
Lespatientspouvaient obtenir unscorede0à3sur l’échelle
suivante, dont les deux derniers rangs (2 et 3) permettaient
d’identifier uneméconnaissancede l’amnésiedurant l’IA:
-Rang0: lepatient rapportespontanémentundéficitmnésique
- Rang 1 : le patient rapporte un déficit mnésique une fois
spécifiquement interrogéàcesujet.
- Rang 2 : lepatient rapporte undéficit mnésique après un
échecàune tâchede rappel d’histoire
- Rang 3 : le patient ne rapporte aucun déficit mnésique, y
comprisaprèsunéchecàune tâchede rappel d’histoire.
Nousavonsainsimontréundéficitdeconnaissanceexplicite
des troublesmnésiqueschez31des36patients (20au rang
2 et 11 au rang 3) durant laphase aiguë (11 au rang 2 et 7
au rang3) et de récupération (9au rang2et 4au rang3), les
rangs2et3étant significativementplus fréquemment retrouvés
que les rangs0et 1.Ainsi, lespatientsn’ontpasuneconnais-
sanceexplicitede leursdéficitsmnésiquesdurant l’IA. Pour
autant, ils présentent unedissociation entre le vécu cognitif
(méconnaissance) et émotionnel, avecdessignesd’anxiété,
unehumeurplus tristeet une inquiétudequi pourraient témoi-
gnerd’unecertaineconnaissancede leurs troubles,d’autant
quedes signesd’inquiétude sont décritspar lesprochesen
dehorsducontexteanxiogèned’hospitalisation.
Aufinal,nouspourrions résumer levécuet laconnaissancedes
patientsdurant l’IApar laquestionsuivante: «quelquechose
ne va pasmais quoi? ». Sur le plan théorique, cette étude
permet demettreenévidenceunprofil deméconnaissance
unique suggérédans de récentesmodélisations
(3-4)
, mais
jamaisdécrit,endistinguantdeux formesdeméconnaissance
etpose laquestionde lasémantiquede laconnaissancedes
troubles.Nousproposons,plutôtquedeparlerd’anosognosie
oudedéni, d’utiliser le termedeméconnaissance, avecune
précisionselonqu’il s’agissed’uneméconnaissancecognitive
(absencedeverbalisationexplicitedu trouble)ouémotionnelle
(présencedemodification thymiqueoucomportementale).Les
futures recherchesdevront s’intéresser toutparticulièrementà
l’interactionentrecesdeux formesdeméconnaissance, ainsi
qu’à leursso
ubassementscérébraux respectifset communs
(voir figure1).
B
ibliographie
(1)Hainselin,M.,Quinette, P.,Desgranges,B.,Martinaud,O., deLaSayette,
V.,Hannequin,D., Viader, F., Eustache, F. (2012).Cortex, 48, 1079–84.
(2)Bisiach, E., Vallar,G., Perani,D., Papagno,C., &Berti, A. (1986).
Neuropsychologia, 24, 471–482.
(3)Mograbi,D.C.,&Morris,R.G. (2013).CognitiveNeuroscience,4,181–197.
(4)Morris, R.G., &Mograbi,D.C. (2013).Cortex, 49(6), 1553–65.
Figure1-
Représentationde laméconnaissancedes troubles,
adaptéedeMorris&Mograbi (4).Les informations sur les
performancesactuelles (« j’ai oubliémesclefs») sont traitées
par les systèmesmnésiquesviadesentrées sensoriellespuis
pardesmécanismesdecomparaison, en lienavecunebase
dedonnéespersonnellescontenantnosexpériencespassées
(«habituellement, jen’oubliepasmesclefs»).Le systèmede
consciencemétacognitivepermet, dansun fonctionnement
normal, l’émergenced’uneconnaissancecognitiveexplicite
dudéficit (« j’ai oubliémesclefsalorsquecen’estpas lecas
habituellement»). Si ce systèmedeconsciencemétacognitive,
lesmécanismesdecomparaisonou les systèmesmnésiquesne
sontpas fonctionnels, uneperception implicitepeut entraînerune
manifestationémotionnelle, commedans l’ictusamnésiqueoù
lespatients sontanxieux.Les liens (enpointillés) entrecesdeux
formesde (mé)connaissance, cognitiveet émotionnelle, restent,
un siècleaprèsBabinski,méconnus.
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