La Lettre 46 - page 9

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connaissancesà long terme. Lorsque laquantitéd’informa-
tionsaccumuléedansun logogèneatteint unseuil critique,
les informationsassociéesaumot (phonologie,orthographe,
etc.) deviennent disponibleset lemot est reconnu.
Ce modèle a été le principal précurseur des modèles
d’activation interactive (AI) décrivant la reconnaissancede
mots.Danscette familledemodèles, troisniveauxde repré-
sentations organisées hiérarchiquement sont postulés. Ils
concernent les traits (visuels ou auditifs), les lettres ou les
phonèmes et lesmots
(5)
. Les versions implémentées de
cesmodèlespermettent demieuxdécrire leur dynamique,
et ainsi d’établirdesprédictionsetdessimulationsprécises
pour décrire le comportement de sujets sains oupatholo-
giques
(6)
.
Tester lesmodèlescognitifsavec lesméthodesdes
neurosciences
Lespsychologues ont deplus enplus recours àdes tech-
niques issues des neurosciences pour tester lesmodèles
cognitifsde traitement du langage. Nous l’illustreronsavec
deux exemples portant sur la localisation et la temporalité
des traitements langagiers.
…des corrélats spécifiques de différentes repré-
sentations linguistiques sont aussi rapportés sur les
bases dedonnées intra-cérébrales…
Certaines études en imageriepar résonancemagnétique
fonctionnelle (IRMf) ont par exemplemontréuneactivation
de régions visuelles lors de l’écoute de stimuli de parole
et, inversement, uneactivationde régionsauditives lorsde
la lecturede stimuli orthographiques correspondants
(7)
.
Cesactivations inter-modales renforcent l’idéede l’existence
d’interactions entre les représentations phonologiques et
orthographiques.En IRMf aussi, à l’aided’unparadigmede
répétition-suppression, onapucommencer àcaractériser
lesbasesneurales liéesspécifiquement à laproductionde
syllabes (/bal/) et dephonèmes (/b/ ou (/a/)
(8)
.
Des corrélats spécifiques de différentes représentations
linguistiquessont aussi rapportéssur lesbasesdedonnées
intra-cérébrales recueilliesauprèsdepatientsépileptiques.
Dansuneaireclassiquedu langage, legyrus frontal inférieur
gauche (comprenant l’airedeBroca), des données de ce
typesuggèrentuneorganisationséquentielledesopérations
linguistiques,dansdes fenêtresde l’ordrede lacentainede
millisecondes, lorsde laproductiondenomsoude verbes
conjugués
(9)
.
Défisactuelsà l’interfacede lapsychologiecognitive
et desneurosciencesdu langage
Il est indiscutablequ’il existeuneneurosciencecognitivedu
langage, issuede la longue traditionde l’étudedesaphasies
et qui s’est déployée en suivant les développements des
différentes techniques d’imagerie cérébrale et de neuro-
physiologie. Demême, les psychologues utilisent depuis
longtemps lespotentielsévoquésélectrophysiologiquesou
l’IRMf pour tester leurshypothèses.Pourautant, ces travaux
Le cerveau dyslexique
| PAR Johannes Ziegler
(LaboratoiredePsychologie
Cognitive, Marseille) et
Michel Habib
(Résodys et Centre
deRéférencedesTroublesd’Apprentissage,Marseille)
…(le) lienentre le traitement visuel et le langageoral (…) est
déficitaire: ceci semanifesteparune sous-activationdeszones
pariéto-temporales (…) enchargede l’intégrationmultimodale
Ladyslexieest un troubledurableet sévèrede l’apprentissagede la
lecturequi semanifestepar une lecture lenteet laborieuse souvent
accompagnée d’une grande difficulté à apprendre l’orthographe
desmots et en l’absence de toute autre difficulté sensorielle ou
cognitive (en particulier, sans déficit de l’intelligence). Parmi tous
les troubles de l’apprentissage, ladyslexie est leplus fréquent, et
touche entre 5 et 10% d’enfants. Depuis ces dernières années,
grâce à l’imagerie cérébrale, on commence àmieux comprendre
les bases biologiques et cérébrales de la dyslexie. Tout d’abord,
il a étédémontréque le cortex occipito-temporal gauche est sous-
activéchez les enfantsdyslexiquespendant la lecture – cette zone
(en jaunesur lafigure),que l’onpourrait appeler la«boîteaux lettres»
ducerveau, estprécisément enchargedu traitement automatiqueet
parallèledeschaînesdes lettres. Elleconstitue la«ported’entrée»
d’unechaînede lettres vers les zonesdu langageoral situéesdans
les cortex temporal et frontal. Des recherches récentes ont montré
quec’est précisément ce lienentre le traitement visuel et le langage
oral qui est déficitaire : ceci semanifeste par une sous-activation
des zonespariéto-temporales (en rouge) enchargede l’intégration
multimodale
(1)
et par une connectivité anormalement faible entre
lescortexoccipito-temporal,pariéto-temporal et frontal
(2)
.Certaines
étudesont égalementmontréunesur-activationdes régions frontales
(l’airedeBroca, lazoneverte)etde l’hémisphèredroit, cequi reflète
sans doute desmécanismes de compensation. Ces résultats ont
étécorroboréspardesétudesdediffusionavec tractographie -une
formededissectionvirtuellepermettant demesurer ladensitéde la
substanceblanche –montrant unedensitéde substanceblanche
plus faiblechez lesenfantsdyslexiques, notamment dans leszones
temporo-pariétalesducerveauet tout le longd’un faisceaudefibres
blanches, le faisceauarqué (enbleu);ce faisceauestaltérédansson
volumeet sastructure, et ced’autantplusque ladyslexieest sévère
(3)
. Troisgènesont étéprécédemment reliésà ladyslexie (DYX1C1,
DCDC2,KIAA0319).Cesgènesnesontpasdirectement associésà
ladyslexiemaisplutôt à ladensitéde lasubstanceblanchedans le
cortexpariéto-temporal qui, quant àelle, est associéeauniveaude
lectured’unenfant
(4)
.
R
éférences
(1) Blau, V. et al. Brain133, 868-879 (2010).
(2)Boets, B. et al. Science342, 1251-1254, (2013).
(3) Vandermosten,M. et al. Brain135, 935-948, (2012).
(4)Darki, F. et al. Biol Psychiatry72, 671-676, (2012).
Chez lesdyslexiques: sous-activationducortex
temporo-occipital
etdes
zonespariéto-temporales
;altérationdu
faisceauarqué
; sur-activation
de
l’airedeBroca
1,2,3,4,5,6,7,8 10,11,12,13,14,15,16,17,18,19,...28
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