La Lettre 46 - page 6

La lettre
istoiredesNeurosciences
n°46
(13)
observeque, si lasensations’impose immédiatement à
laconscience, l’absencedeperceptionnécessite, elle, une
opérationmentalequi peut être compromise soit par une
défaillanceunimodale,propreà la fonctionconsidérée, soit
parunedéfaillancesupra-modalecommecellequi seraitdue
àunaffaiblissementde lavigilance.Un telmodèlenepourrait
expliquer l’anosognosiede l’hémiplégiequedans les cas
associésàdes troublessensitifs importants.En1994,Goldet
al
(14)
suggèrentque laprisedeconsciencede laparalysie
reposesur ladiscordanceentre laperceptionde« l’intention
debouger »et laconstatationde l’absencedemouvement.
Encasd’anosognosie, l’informationenprovenancedesaires
motrices n’est pas transmiseaux aires somesthésiques ce
qui entraîne lapertede cettediscordance et donc la non
détectionde laparalysie.Cetteexplicationnevautquepour
l’anosognosiede l’hémiplégie.Vuilleumierpropose,quant à
lui, en2004
(15)
unmodèledit «ABC» (Appreciation,Belief,
Check), visant à intégrer lesdifférents facteursdéficitaires,
cognitifs, affectifsetmotivationnels.
Il émergedecesdifférents travaux,malgré leursdivergences,
l’idée communeque laperception consciented’undéficit
résulted’unprocessusactif,qui peut s’avérer totalement ou
partiellementdéfaillantdu faitd’une lésion focaleducerveau,
maisaussi d’unealtérationplusglobaledes fonctionscogni-
tives, voire sous l’effet d’une répressionde naturepsycho-
affective.Quellequesoit lamodélisationproposéepour ce
processus, elle devra pouvoir laisser ouverte la possible
interventiondecesmultiples facteurs,afinde rendrecompte
de lacomplexitéde la réalitéclinique.
N’ayant pu accéder aux fonctions de professeur, Joseph
Babinski secontenta, si l’onpeut dire, d’être leclinicienex-
ceptionneldont lesneurologuesdumondeentierconnaissent
lenom, et qui apuissamment contribuéà laconnaissance
quenous avons aujourd’hui de la sémiologieneurologique
(16)
. Il nous a laissé en héritage le terme d’anosognosie.
Onne saurait lui tenir rigueur denepasnousavoir livré les
clésd’unmystèrequenouspeinons toujours, unsiècleplus
tard, àélucider.
R
éférences
(1) Babinski J (1914). RevNeurol (Paris); 27: 845-848
(2) Babinski J (1918). RevNeurol (Paris); 31: 365-367
(3) Babinski J (1923). RevNeurol (Paris);39:731-732
(4) JoltrainE, présentéparMBabinski (1924). SociétédeNeurologiede
Paris, séancedu4décembre1924. RevNeurol (Paris);31:638-640
(5) RedlichFC,Dorsey JF (1945). ArchNeurol Psychiatry; 53: 407-417
(6) DejerineJ,VialetN (1893).Comptes rendusde laSociétédeBiologie;11:
983-987
(7) AntonG (1896).MittheilungendesVereinesderÄrzte inSteiermark; 33:
41-46
(8) AntonG (1898).Wiener klinischeWochenschrift; 11: 227-229
(9) Viader F (2008). Traité deNeuropsychologieClinique (Lechevalier,
Eustacheet Viader eds.), deBoeck, Bruxelles, p. 650-669
(10) Sandifer PH (1946). Brain; 69: 122-137
(11) WeinsteinEA, KahnRL (1950). ArchNeurol Psychiatry; 64: 772-791
(12) McGlynnSM,SchacterD (1989). JClinExpNeuropsychol;11:143-205
(13) LevineDN (1990). BrainCogn; 13: 233-281
(14) GoldM,AdairJC, JacobsDH,HeilmanKM (1994).Neurology;44:1804-
1808
(15) Vuilleumier P (2004).Cortex; 40: 9-17
(16) Philippon J, Poirier J (2009). JosephBabinski: a biography. Oxford
UniversityPress,NewYorkUSA
se représenter subjectivement l’étatmental decespatients.
De nombreux autres cas seront rapportés au tournant du
siècle,presque tousen langueallemande (cf.
5
pour revue).
LenomdeGabrielAnton rejoindrafinalementceluideJoseph
Babinskidans lesyndromeéponyme,quidésigneaujourd’hui
l’anosognosiede lacécitécentrale.
Cent ans après son avènement au lexique de la neurolo-
gie, l’anosognosie est loin d’avoir livré tous ses secrets.
Aujourd’hui encore, ledébat sur lanaturedesdysfonction-
nements qui conduisent à ce trouble singulier est vivace
(cf.
9
pour revue). Lanatureexactede la fonctiondéfaillante
chez les sujetsatteintsd’anosognosieet l’existencemême
d’une telle fonction, ont fait l’objetdemultiples travaux.Dans
lapremièremoitiéduXX
e
siècle, unepart importanteaété
accordéeau« schémacorporel », unconcept en vogueà
cetteépoque.Encore fallait-il distinguerdeux formesd’ano-
sognosie,« focale»et«diffuse»
(10)
, faisant intervenirdans
certainscasunélémentdeconfusionmentale,dansd’autres,
uneasomatognosie (laméconnaissancede l’hémiplégieétant
liéeàcellede l’hémicorpsparalysé).Un important courant
d’idées, portéparWeinstein et Kahn
(11)
àpartir de la fin
desannées1940,amisenavant lesmécanismesdedéni.Là
encore, l’anosognosieestconsidéréecommedépourvuede
spécificité, et commeune réactiondedéfensedusujet face
à lamenaceque représente lamaladie (« themanifestation
of thepatient’sdrive tobewell »).Sasurvenueestdétermi-
néeparuneconjonctionde facteursparmi lesquelsfigurent
nonseulement les lésionscérébrales,maisaussi uncertain
degréd’obscurcissement de laconscienceet des facteurs
psychologiquesdépendant de lapersonnalitéprémorbide
dupatient.Ce typed’explicationnepeut cependant rendre
comptedesnombreuxcasd’anosognosieobservésende-
hors de toute altérationde la vigilance et de tout contexte
psychopathologique. L’avènement de la neuropsycholo-
giecognitivea inspiréàson tour, ces25dernièresannées,
de nouveauxmodèles, de nature résolument modulaire.
En 1989, McGlynn et Schacter
(12)
postulent l’existence
d’unsystèmeappeléConsciousAwarenessSystem (CAS),
nécessaireà laperceptionconscientede touteexpérience.
LeCAS s’inscrit dans le contexte plus large du système
«DICE » (Dissociable Interaction andConscious Expe-
rience), imaginépour formulerune théoriede ladissociation
entreprocessus implicitesetexplicites.LeCASseraitarticulé
d’un côté avec des «modules » représentant différentes
catégories d’information et d’un autre, avec un système
exécutif. D’un point de vue anatomique, il mettrait en jeu
les lobespariétaux et lecingulumpostérieur, et le système
exécutif, impliquant logiquement lecortex frontal.Suivant la
placede la lésiondans lachaîne«modules-CAS-système
exécutif », l’anosognosiepourrait affecter uneouplusieurs
modalitésélémentaires,ouencoredes troublesdes fonctions
cognitives comme l’aphasieou l’amnésie. Dans cedernier
caspourtant, l’anosognosieest trèsvariable.Elleestmassive
dans le syndromedeKorsakoff alcoolique, mais d’autres
amnésiques peuvent conserver une certaine conscience
de leur trouble, même si la connaissancequ’ils en ont est
incomplèteou inexacte (cf.encadré).Unanplus tard,Levine
(
suite
de
la
page
4)
1,2,3,4,5 7,8,9,10,11,12,13,14,15,16,...28
Powered by FlippingBook