La Lettre 46 - page 8

La lettre
n°46
Psychologie cognitive du langage
F.-Xavier Alario
(CNRS, LPCUMR7290,Marseille),
Sophie Dufour & Chotiga Pattamadilok
(CNRS, LPCUMR7290,Marseille)
Nousproposonsunbref panoramade l’approchepsycholo-
giquedes traitements linguistiques.Pourcela, nouspartons
d’observations quotidiennes pour introduire lesmodèles
fonctionnels cognitifs et décrivons ensuite des points de
convergenceavec les travauxmenésenneurosciences.
Quelquesphénomènes remarquableset révélateurs
Les erreurs ou approximations qu’il nous arrive de faire
lorsquenousutilisons le langage révèlent l’organisationde
nosconnaissances linguistiques.Quelquesexemples illus-
treront cepropos.
…sleonuneédtuede l’UvinertisédeCmabrigde,
l’odrredes ltteersdnasunmton’apasd’ipmrotncae…
Lorsque nous avons unmot sur lebout de la langue, nous
savonscedont noussouhaitonsparler sanspouvoir retrou-
ver lemot correspondant. Cela indiqueque lemessage à
communiquer et lesmotspour l’exprimer sont accessibles
enmémoirede façon indépendante. Lorsquenotre langue
a fourché, ellene le fait pascomplètement auhasard. Dire
«mis la routeen four »pour le« four en route» révèleune
confusion sur lesmots. Par contre, dans l’erreur « berre
de vière», pour  « verre de bière», lesmots sont à leur
placemais certaines de leurs parties ont été échangées.
Les régularités statistiquesdans les erreursdeproduction
caractérisent la façondont nouspréparons le langage
(1)
.
Par ailleurs, en lisant laphrase «Sleon une édtuede l’Uvi-
nertisédeCmabrigde, l’odrredes ltteers dnas unmto n’a
pasd’ipmrotncae», nous sommes capables, sans tropde
mal,de reconstruire lesorthographescorrectesetd’extraire
lesens.Nousmettonsàcontribution lesconnaissancesque
nous avons demots pour compenser ledésordreprésent
dans le texte
(2)
.Enfin,pourcomprendre laphrase« lechien
de la voisine dort », nous établissons des relations entre
différentsélémentsdistantsde laphrase.Mêmes’il est écrit
« la voisinedort », nous concluons que c’est bien le chien
et nonpas la voisinequi est endormi.
Différents typesdeconnaissances: les informations
linguistiques
Les linguistes et les grammairiens ont décrit les différents
types de connaissances qui sont nécessaires pour utili-
ser une langue.Demanière schématique, lesmotsconnus
constituent le
lexique
. Leurs formes, écrites et orales, im-
pliquent respectivementdesconnaissances
orthographiques
et
phonologiques
. Leurs sens font partiede nos connais-
sances sémantiques. La
syntaxe
permet de combiner les
motsen séquenceset enphrases.
Lesphénomènescitésprécédemment,ainsique les résultats
denombreusesexpériencesmenéesen laboratoire,peuvent
ainsi êtreassociésàcesdifférents typesdeconnaissances.
Lemot sur lebout de la langue conduit àdistinguer la sé-
mantiquedesmotsde leur formephonologique. Les lapsus
suggèrent le traitementd’unités linguistiquesdedifférentes
tailles (mots vs. phonèmes) susceptibles degénérer diffé-
rents typesd’erreurs. L’interprétationcorrectede laphrase
« 
lechiende lavoisinedort 
» révèle ledécodagesyntaxique.
Ainsi, onpeut proposer une analyse efficacede laperfor-
manceetducomportementbaséesur lesunités linguistiques.
Construireunmodèlecognitif des traitements linguistiques
vademander de caractériser la façondont les différentes
connaissances sont acquises et stockées enmémoire, la
façondont elles sont récupérées pour être utilisées, et les
processus permettant de connecter les informations entre
elles. Par exemple, pour rendrecomptedes processus de
lecture on pourra décrire l’organisation et la dynamique
d’activationdesconnaissancesorthographiquesetphono-
logiques.Danscecontexte, lamodélisationdesprocessus
cognitifs fait souvent appel à lanotionde« représentation»,
unconcept central et encoredébattu.
Notionde représentation
Donner unedéfinitionbrèvede lanotionde représentation
n’estpasune tâcheaisée
(3)
.Admettonsqu’il s’agissede la
tracemnésiqued’uneconnaissancedonnée,notammentdes
différents types de connaissances linguistiques évoquées
ci-dessus.Parexemple, lesconnaissancesquenousavons
de la lettre «A» se reflètent dans différentes représenta-
tionsconcernant, entreautresaspects, ses formesvisuelles
(majuscule ouminuscule), ses variantes (telle écriture ou
policedecaractères) et saprononciation.
Un tel concept de représentation est très utilepour rendre
compteducomportement linguistique.Eneffet, cecompor-
tement épousesouvent lescontoursdespropriétés linguis-
tiques. L’objectif d’unmodèledevient alorsunedescription
des représentations présentes dans le système cognitif et
de ladynamiquede leurmiseenœuvre lorsde l’utilisation
du langage. Nous décrivons des exemples demodèle ci-
dessous.
D’un autre côté, ce concept de représentation a ledéfaut
d’êtreparfoissur-interprété. Les représentationssont alors
réifiées,passantdustatutd’outil conceptuel àcelui d’entité
observable. Ainsi, la notionde représentation est très lar-
gement utiliséeetpartagéedans leschampsdessciences
cognitives. Toutefois samotivation théorique resteparfois
débattue, notamment en ce qui concerne les traitements
linguistiques.
Modèlescognitifsdu traitement du langage
Parmi lespionniersde lamodélisationcognitivedu langage,
citonsMortonet sonmodèlede la reconnaissancedesmots
(4)
.D’aprèscemodèle, chaquemot est représentéparune
unitéde représentationappelée« logogène»qui agitcomme
uncompteur recevantdes informationsprovenantde l’input
sensoriel (visuel/auditif) et des informations provenant des
ossier
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