La Lettre 45 - page 15

15
… « les amusiques sont capables de reproduire
vocalement un schéma prosodique qu’ils ne sont
pas capables de discriminer »...
Par rapport à des sujets contrôles non-musiciens, les per-
sonnes souffrant d’amusie congénitale présentent des
anomalies anatomiques et fonctionnelles du réseau fronto-
temporal droit : plus faible concentration en matière blanche
et plus forte concentration en matière grise dans le gyrus
frontal inférieur droit (IFG), connectivité plus faible dans le
faisceau arqué, altérations de la connectivité effective entre
l’aire auditive primaire et l’IFG droit dans une tâche musicale
de mémoire à court-terme, retard des réponses auditives
évoquées précoces pendant l’encodage d’une mélodie.
Cependant, le circuit activé par une tâche de discrimination
musicale n’est pas le même que dans une tâche de chant
où l’on écoute un modèle en vue de le reproduire. Ainsi il
semble que les amusiques ont des performances moins
déficitaires lorsque la tâche musicale implique des proces-
sus de « perception pour l’action » que lorsqu’il s’agit de
discrimination perceptive : ils sont capables par exemple
de reproduire vocalement un schéma prosodique qu’ils ne
sont pas capables de discriminer explicitement. Le dévelop-
pement des études sur le lien perception-production chez
les amusiques et les mauvais chanteurs en général devrait
donc apporter une intéressante contribution à l’exploration
de ce réseau audio-vocal.
(1) Bigand, E., Tillmann, B., Poulin, B., D’Adamo, D. A., & Madurell, F. (2001).
The effect of harmonic context on phoneme monitoring in vocal music.
Cognition, 81(1), B11-B20.
(2) Hoch, L., Poulin-Charronnat, B. & Tillmann, B. (2011). The tonal function of
a task-irrelevant chord influences language processing: syntactic versus
semantic structures. Front Psychol – Audit. Neurosci, 2:112.
(3) Kolinsky R, Lidji P, Peretz I, Besson M, Morais, J. (2009). Processing
interactions between phonology and melody: Vowels sing but consonants
speak. Cognition 112: 1–20.
(4) Schön, D., Gordon, R., Campagne, A., Magne, C., Astésano, C., Anton,
J. L., & Besson, M. (2010). Similar cerebral networks in language, music
and song perception. Neuroimage, 51(1), 450-461.
(5) Margulis, E. H., Mlsna, L. M., Uppunda, A. K., Parrish, T. B., & Wong, P.
(2009). Selective neurophysiologic responses to music in instrumentalists
with different listening biographies. Hum. brain map., 30(1), 267-275.
(6) Sato, M., Tremblay, P., & Gracco, V. L. (2009). À mediating role of the
premotor cortex in phoneme segmentation. Brain lang., 111(1), 1-7.
(7) Kleber, B., Veit, R., Birbaumer, N., Gruzelier, J., & Lotze, M. (2010). The brain
of opera singers: experience-dependent changes in functional activation.
Cerebral Cortex, 20(5), 1144-1152.
(8) Zarate, J. M. (2013). The neural control of singing. Frontiers in human
neuroscience, 7.
(9)Tillmann,B.,Albouy,P.&Caclin,A.(inpress).Congentialamusias. In:“Thehuman
auditory system: fundamental organization and clinical disorders -Handbook of
Clinical Neurology”, Eds. Celesia G.G. & Hickok GS. Elsevier Press.
Les dysarthries : un modèle
d’étude des relations entre
cerveau et parole
Serge Pinto (Aix), Pascal Auzou (Orléans), Canan Ozsancak
(Orléans)
L’expression anglo-saxonne Motor Speech Disorders identifie
un ensemble de signes affectant le contrôle et/ou la production
de parole. Cette terminologie est basée sur une approche qui
dichotomise ensuite les troubles moteurs de la parole en deux
modalités: l’apraxie de la parole et le groupe des dysarthries.
« La dysarthrie est dé nie comme un trouble de la réali-
sation motrice de la parole, secondaire à des lésions du
système nerveux central ou périphérique (…) Actuelle-
ment, le terme traditionnel de dysarthrie est utilisé pour
nommer les troubles moteurs de la parole d’origine
neurologique (à l’exception de l’apraxie de la parole).
Il intègre des perturbations retentissant sur la respi-
ration, la phonation, l’articulation, la résonance et la
prosodie » (1 ; page 308)
Cette définition de la dysarthrie a fortement suggéré de ne pas
dissocier troubles articulatoires (supra-laryngés), laryngés et
respiratoires. Les troubles moteurs de la parole font souvent
partie d’un panel plus large de déficits moteurs inhérents à un
tableau clinique propre : l’idée est donc de faire correspondre
les signes caractérisant le trouble moteur de la parole à une
topologie bien précise de lésion(s) cérébrale(s).
… la dysarthrie est (…) secondaire à des lésions du sys-
tème nerveux central ou périphérique…
Plusieurs tentatives de classification des dysarthries se sont
alors engagées, à la fois bénéficiant et se heurtant à des ap-
proches multi- et pluridisciplinaires: il est en effet difficile de
synthétiser en une classification simple des données neuroa-
natomiques, étiologiques, sémiologiques et perceptives. La
classification des dysarthries émanant des travaux de la Mayo
Clinic (Cleveland, USA) demeure la plus largement reconnue et
utilisée
(2,3)
. Elle propose une description pragmatique basée
sur le regroupement d’anomalies évaluées de manière percep-
tive. Elle se veut exhaustive, mais certains critères d’évaluation
sont très peu discriminants, certaines expressions pathologiques
revêtent des formes différentes selon les patients, les étiolo-
gies sont différentes et variées pour une même pathologie…
Une vision critique de cette classification des dysarthries a
été proposée
(1)
, soulignant son apport indéniable quant à la
description détaillée des dysarthries, mais soulevant également
les limites de cette classification : difficulté de diagnostic diffé-
rentiel, absence de duplication, méthodologie approximative
de constitution des groupes pathologiques, conditions d’écoute
qui n’étaient pas en aveugle par rapport aux diagnostics. Ces
considérations ouvrent la voie aux travaux de plus en plus nom-
breux concernant l’étude des dysarthries, dont la description
et classification sont encore à perfectionner.
1) Auzou P. (2007) Définition et classifications des dysarthries. In Auzou,
P., Rolland-Maunoury, V., Pinto, S., Ozsancäk, C (eds) Les Dysarthries. Solal,
Marseille, pp. 308-323.
(2) Darley FL, Aronson AE & Brown JR. (1969a) Clusters of deviant speech
dimensions in the dysarthrias. Journal of Speech and Hearing Research,
12, 462-496.
(3) Wada, J. & Rasmussen, T., 1960, Intracarotid injection of sodium amytal for
the lateralisation of cerebral speech dominance, Journal of Neurosurgery,
17, 226-82.
1...,5,6,7,8,9,10,11,12,13,14 16,17,18,19,20,21,22,23,24,25,...38
Powered by FlippingBook