La Lettre 45 - page 8

La lettre
n°45
istoire des Neurosciences
que l’intérêt de toutes ces études pour Nageotte réside dans
le fait d’imaginer que de tels phénomènes puissent prendre
place dans la matière vivante qui se construit et fonctionne
à chaque instant.
Nageotte, l’homme
Enfin, sur un plan strictement personnel, les aléas de la vie
n’ont pas épargné Nageotte. Un grave accident de bicy-
clette survenu en 1923 l’a laissé partiellement paralysé et
souffrant de fortes douleurs chroniques. En outre il fut atteint
assez tôt de surdité. René Couteaux a rapporté que lors de
visites qu’il lui a faites avant la Seconde Guerre mondiale, il
ne pouvait communiquer avec lui que par écrit. La période
de l’occupation allemande fut particulièrement éprouvante
pour lui. Il perdit sa femme en 1943, l’une de ses filles fut
emprisonnée par les Allemands et son gendre fut déporté.
... « René Couteaux a rapporté que lors de visites
qu’il lui a faites avant la Seconde Guerre mon-
diale, il ne pouvait communiquer avec lui que
par écrit »...
Observateur rigoureux et perspicace, esprit original et inven-
tif, travailleur acharné et excellent dessinateur, il était aussi
un esprit critique très exigeant pour lui-même comme pour
les autres. Facilement sarcastique et péremptoire dans ses
jugements, il ne donnait pas facilement son estime. Il resta
lié à ses maîtres Gombault et Babinski, ses amis Ettlinger,
Maillet, Azoulay, ainsi qu’aux biologistes Wintrebert, Caullery,
Rochon-Duvignaud, Hallion, Masson, au botaniste Guillier-
mond et au mathématicien Gaston Julia. Parmi ses élèves
on relève les noms de Clovis Vincent, Henri Mondor, Pierre
Chevallier, Henri Wallon, Jean-Pierre Delay et aussi Gabriel
Sourdille, promoteur des greffes de cornée et dont il se
plaisait à penser que son propre travail sur les greffes avait
sans doute influencé cette orientation. Ces listes sont bien
évidemment non limitatives. Enfin il est juste d’ajouter qu’il
a beaucoup apprécié la collaboration de son assistante au
Collège de France, Melle Guyon, qui est d’ailleurs associée
à plusieurs de ses publications.
Les qualités mentionnées plus haut, sa façon d’envisager les
problèmes ont fait qu’il a été un modèle et même un maître
à penser non seulement pour ses élèves, mais aussi pour
beaucoup de morphologistes comme René Couteaux, qui
n’avait pas l’admiration facile, mais se référait souvent à lui,
avec le regret de ne l’avoir connu qu’au soir de sa vie.
Nageotte en fait une analyse minutieuse. Il y a lieu de dis-
tinguer les structures à surface hydrophile, ou tubes myé-
liniques, situées en périphérie du disque central et les
structures à surface hydrophobe, qui occupent l’intérieur
de celui-ci, avec à la base des tubes myéliniques une zone
de transition très complexe. Nageotte insiste sur le fait que
l’observation de ces structures translucides est délicate
et nécessite souvent d’avoir recours à l’ultramicroscope à
fond noir, concurremment au microscope ordinaire et au
microscope polarisant qui permet de déterminer le type
des assemblages moléculaires en fonction du caractère
bipolaire des molécules, en s’appuyant sur les travaux des
physiciens et des cristallographes. En lumière polarisée
les tubes sont biréfringents uniaxes, de signe positif. Cette
biréfringence est susceptible de se modifier en fonction de
la nature des composants qui s’oxydent progressivement
au cours du temps. Cela peut aller jusqu’à l’inversion du
signe de la biréfringence due à une forte oxydation et à
l’augmentation de l’imbibition qui en résulte.
Par comparaison, la myéline apparaît comme une figure
myélinique naturelle, dont l’originalité tient à sa complexité
chimique – cholestérol et protéines – et aux relations ana-
tomiques et fonctionnelles qu’elle entretient avec le proto-
plasme qui l’entoure. Les feuillets se dissocient dans l’eau
distillée et Nageotte fait de ce caractère la pierre de touche
de la bonne fixation des fibres nerveuses, qui nécessite des
mélanges osmiés du type du liquide de Flemming. Il affirme
l’analogie de structure entre la myéline et les mitochondries,
ce qui a été parfaitement validé par la microscopie électro-
nique. Ayant remarqué l’individualité des membranes externe
et interne de la myéline et leur colorabilité analogue à celle
des mitochondries, il en tire la conclusion abusive que la
myéline se forme comme une sorte d’inclusion à partir d’une
mitochondrie géante du cylindraxe.
Nageotte développe l’interprétation moléculaire des struc-
tures myéliniques qui a été largement validée par la micros-
copie électronique. Enfin, le dernier chapitre est consacré
à l’étude des structures à surfaces hydrophobes, qui se
forment dans la partie centrale des extraits de cerveau pla-
cés entre lame et lamelle, milieu très pauvre en eau. C’est
pourquoi elles diffèrent totalement des tubes myéliniques
qui se développent dans l’eau par l’arrangement de leurs
molécules, et, en conséquence, par leur propriété d’adhé-
rence au verre. De telles structures peuvent être obtenues
également en utilisant comme solvant entourant l’extrait
de cerveau non plus l’eau, mais un alcool un peu dilué.
Bien qu’elles soient pour le biologiste d’un intérêt moindre
que les structures hydrophiles, puisque les milieux hydro-
phobes sont peu fréquents dans les cellules, Nageotte en
a fait une étude aussi approfondie que celle des structures
hydrophiles.
La conclusion générale de l’ouvrage est que toutes ces ob-
servations montrent comment l’imbibition d’un gel de lipoïdes
ne peut pas être considérée comme un phénomène diffus,
mais aboutit à des agencements moléculaires dynamiques
qui constituent une véritable morphogenèse. Il est évident
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