La lettre
n°45
ossier
à répondre en utilisant la TMS ou des protocoles comporte-
mentaux facilitant ou interférant avec la résonance motrice.
La voix chantée ouvre des possibilités un peu différentes de
la parole : la possibilité de travailler avec des
stimuli
vocaux
non-linguistiques mais cependant écologiquement plau-
sibles ou encore d’étudier l’effet de l’expertise vocale sur le
fonctionnement de la boucle audio-vocale.
Intégration du feed-back en production du chant
Dès les années 70, la psychologie cognitive s’intéresse à la
question de l’intégration des feed-back proprioceptifs et audi-
tifs dans le chant, notamment chez les chanteurs entraînés.
Plus récemment, un ensemble de travaux en IRMf menés par
l’équipe de Boris Kléber a montré que les chanteurs formés
ou en cours de formation recrutent plus fortement le cortex
somatosensoriel primaire et associatif que les chanteurs
amateurs
(7)
. À l’inverse, quand on perturbe leur feed-back
proprioceptif, ils sont capables de maintenir une vocalisation
juste en désengageant l’insula antérieure droite, zone qui
permettrait normalement l’intégration multimodale des infor-
mations pendant la vocalisation. D’autres travaux révèlent
également que lorsqu’on modifie la hauteur du feed-back
auditif de sujets novices en train de chanter, le sulcus pariétal
inférieur (IPS) et le cortex prémoteur dorsal (dPMC) sont plus
activés qu’avec un feed-back normal
(8)
. L’IPS pourrait trans-
former le signal auditif en code spatial (monter/descendre),
transmis ensuite à l’
insula
puis au dPMC qui implémente la
compensation vocale en fonction du changement perçu.
Par ailleurs, ce recrutement du dPMC est moins fort chez
les chanteurs experts, qui utilisent un autre circuit composé
du cortex auditif, de l’insula antérieure et du cortex cingu-
laire antérieur. On voit ainsi que l’expérience vocale modifie
le poids des feed-back, la réponse aux perturbations, et
les circuits audiovocaux. De façon intéressante, une étude
complémentaire de la même équipe a montré qu’un entraî-
nement des capacités de discrimination auditive chez des
non-musiciens ne suffisait pas à induire l’activation de ce
circuit spécifique aux chanteurs. Une expérience audio-
vocale intensive semble nécessaire pour modifier la boucle
« par défaut » du contrôle vocal.
Troubles de la voix chantée : quels corrélats neuro-
naux ?
Un autre éclairage sur les mécanismes de perception et de
production du chant nous vient des déficits. Dix à 15 % de la
population a des difficultés pour chanter juste un air populaire
comme « Joyeux anniversaire ». Si plusieurs études compor-
tementales ont récemment étudié les causes possibles de ce
déficit, il n’existe encore à notre connaissance aucune étude
en neuroimagerie sur le chant de cette population. Une des
raisons se trouve peut-être justement dans la multiplicité des
causes et donc des profils des mauvais chanteurs. Le profil
le mieux étudié à ce jour est celui de l’amusie congénitale, un
trouble de la discrimination et de la mémoire des hauteurs
musicales, le plus souvent associé à un défaut de justesse
chantée
(pour une revue, voir 9)
.
l’amplitude de la N400
1
évoquée par des mots, et récipro-
quement. Ceci semble être dû au fort chevauchement des
représentations musicales et linguistiques dans les cortex
temporaux
(4)
, bien que cela n’exclue évidemment pas que
chaque dimension ait sa spécificité.
Activité motrice en perception de la voix chantée
Des études sur les musiciens ont montré que la perception
du son de leur instrument de musique active leur système
moteur, en particulier le gyrus précentral
(par exemple, 5)
.
Une première interprétation de cet effet est que les liens
entre le son et le geste ont tellement été renforcés par la
pratique musicale que le couplage sensorimoteur est auto-
matique pendant la perception. D’autres auteurs lient ce
phénomène à la théorie du système miroir : le traitement
perceptif d’un stimulus lié à une action passe par la simu-
lation intérieure de cette action. Et quand l’action nous est
familière au niveau moteur, cette simulation serait facilitée.
Comme nous savons tous utiliser l’instrument de musique
qu’est la voix, la perception d’une voix chantée active-t-elle
notre système moteur ? Il semble qu’on peut en effet obser-
ver en IRMf un cluster activé dans le cortex sensorimoteur
laryngo-oro-facial pendant la perception d’une voix chantée
(4). Il reste à déterminer quels facteurs viennent moduler ce
phénomène de résonance motrice. L’un d’eux pourrait être
la nature même de la tâche expérimentale, comme cela a
été montré avec les signaux de parole
(6)
.
... «Des études sur les musiciens ont montré
que la perception du son de leur instrument de
musique active leur système moteur »...
Y a-t-il des tâches où l’activité motrice est nécessaire au
traitement perceptif et d’autres où elle ne l’est pas ? Ou
encore, quelle différence y a-t-il, en termes de réseau activé,
entre écouter une voix chantée passivement et l’écouter en
vue de chanter ? Un autre facteur qui devrait moduler cette
activité motrice en perception de la voix est l’expertise vocale.
On peut s’attendre à ce que la résonance motrice soit ren-
forcée chez les chanteurs professionnels, comme elle l’est
chez les musiciens qui écoutent leur instrument. Mais nos
données suggèrent une autre tendance chez des sujets non
formés en chant : pendant l’écoute d’un modèle à répéter,
le système moteur serait plus activé chez les personnes
qui chantent faux que chez les bons chanteurs (Lévêque Y,
Schön D (2013) Listening to the Human Voice Alters Sen-
sorimotor Brain Rhythms. PLoS ONE 8(11): e80659). Il se
peut ainsi que le cortex moteur apporte une « aide » au
traitement auditif quand la tâche est difficile pour le sujet.
De façon plus globale, la question du rôle de cette activité
motrice en perception de la parole ou du chant est une
question importante à laquelle la neurolinguistique cherche
1
La N400 est un marqueur électrophysiologique dont le potentiel
négatif (N) est évoqué 400 ms après le début d’un stimulus.
