La Lettre 45 - page 20

La lettre
n°45
ossier
et en espagnol) la réalisation de ce phonème sera à cheval
entre les deux systèmes. Ainsi, même le bilingue précoce
aurait une production distincte des natifs monolingues et ce
dans ses deux langues. Chez le bilingue tardif, la présence
d’un accent non-natif dans la seconde langue (L2) est qua-
si-systématique. Cependant, des exceptions existent, ce
qui remet en question l’hypothèse d’une période critique
absolue
(5)
. Cette hypothèse est pourtant revendiquée par
certains, qui attribuent la présence d’un accent non-natif
à une perte de plasticité neuronale. Cette perte réduirait
la capacité d’apprendre de nouvelles séquences motrices
complexes nécessaires à la production orale. Pour d’autres,
l’accent non-natif résulterait non pas d’une véritable perte
de plasticité mais d’une interférence provenant du modèle
acoustique de la langue maternelle. Autrement dit le bilingue
tardif raterait sa cible en L2 en raison de l’interaction entre
la perception, filtrée par la L1, et la production.
Dans le but d’aborder cette question de plasticité, quelques
études en imagerie ont examiné le réseau cérébral impliqué
dans la production de la parole chez le bilingue. Malgré la
différence manifeste en ce qui concerne la présence d’un
accent non-natif entre les bilingues précoces et tardifs, pour
la majorité des structures cérébrales le niveau d’activation
ne varie pas de façon significative entre ces deux groupes
lorsqu’ils lisent à voix haute dans leur L2
(6)
. Ce résultat
rejoint ceux des études qui ont comparé l’activation céré-
brale suscitée lors de la production des mots isolés dans
plusieurs conditions: 1) chez des bilingues tardifs et des
monolingues, 2) chez des bilingues tardifs dans leurs deux
langues et 3) chez des bilingues tardifs ayant un accent
non-natif plus ou moins prononcé. L’ensemble de ces études
ne montre que peu ou pas de différence entre les réseaux
activés, ni entre leur niveau d’activation, en fonction du type
de locuteur. Toutefois, lors de la production spontanée de
la parole, des différences plus importantes sont observées
entre les langues maternelle et seconde chez le bilingue
tardif, notamment au niveau de l’activation du cortex tem-
poro-pariétale gauche et le cervelet. Si nous considérons
ce résultat en fonction des modèles neuromoteurs actuels
de la parole
(7)
. il semblerait que c’est la boucle sensori-
motrice, entre la perception et la production de la parole,
qui serait le siège des difficultés pour les bilingues tardifs
lorsqu’ils articulent leur L2. Il reste à déterminer si cet effet
résulte des interférences provenant de la langue maternelle
ou d’un manque d’automatisme des routines sous-jacentes
à l’articulation dans une langue apprise tardivement.
… « les études réalisées chez le sujet immergé
dans le bain linguistique de la L2 (démontrent)
l’importance de l’expérience linguistique »…
En ce qui concerne la perception, le tableau n’est pas moins
complexe. En effet, chez le bilingue tardif comme chez le
bilingue précoce, les résultats des recherches électro-phy-
siologiques sur le développement des capacités percep-
tives dans la L2 ne sont pas concluants. Alors que certaines
études chez le jeune enfant comme chez l’adulte montrent
qui l’hypothèse d’une «faculté de langage » spécifique à
l’homme et génétiquement transmise est centrale. Dans ce
cadre, le langage se développerait à partir d’un stade initial
inné, la grammaire universelle, qui comprendrait les principes
linguistiques sous-jacents au développement langagier.
L’accès à la grammaire universelle serait déterminant pour
l’acquisition complète d’une langue et l’impossibilité d’y
accéder, la principale entrave lors de l’acquisition tardive
d’une langue nouvelle.
… «la pratique d’une langue plus que la simple
expérience avec celle-ci, même précoce, serait
primordiale »…
Ces notions d’inné
versus
acquis des processus sous-ja-
cents à l’acquisition des facultés cognitives en général et
du langage en particulier sont aujourd’hui largement débat-
tues. Qui plus est, si la question de l’âge d’acquisition est
toujours d’actualité, la réponse est complexe. D’après les
résultats des études en neurosciences, l’âge d’acquisition
ne semble pas être décisif en ce qui concerne les capaci-
tés langagières. En effet, le fait d’être exposé à une langue
dès la naissance ne garantit pas une acquisition native ni
de trace indélébile de celle-ci. Considérons les recherches
menées sur les personnes nées de parents immigrés, dont
la langue parlée à la maison diffère de celle pratiquée par la
communauté. La réponse corticale associée au traitement
sémantique chez ces « heritage speakers » est retardée
dans leur langue maternelle par rapport à celle observée
dans leur langue dominante, ce qui suggère qu’ils traitent
leur langue maternelle de manière semblable à des bilingues
tardifs
(3)
. Par ailleurs, des résultats en imagerie cérébrale
obtenus chez des personnes adultes adoptées entre l’âge
de 2 et 8 ans ne montrent pas plus d’activation de leur langue
maternelle que celle observée chez des personnes n’ayant
jamais été en contact avec cette langue. Ainsi, la pratique
d’une langue plus que la simple expérience avec celle-ci,
même précoce, serait primordiale.
La perception et la production de la parole
Chez le sujet monolingue, il n’y a aucun doute quant à l’effet
de l’environnement linguistique sur ces deux versants de
la parole ; en effet chez le nouveau-né, on peut déceler les
contours intonatifs de sa langue maternelle (L1) dans ses
pleurs alors qu’il n’est âgé que de quelques jours. Ceci sug-
gère une influence en amont,
in utéro
, de la langue maternelle
sur la production vocale. Quant à la perception, l’effet de
l’entourage linguistique sur la formation de l’espace pho-
némique et la spécialisation neuronale se ressent dès les
premiers mois de la vie
(4)
. Chez le bilingue, l’influence de
l’entourage linguistique est sensiblement différente selon
que les deux langues sont acquises simultanément ou suc-
cessivement.
En ce qui concerne la production de la parole, des études
comportementales chez le bilingue simultané suggèrent que
lorsque les traits phonétiques diffèrent pour un phonème qui
existe dans les deux langues (par exemple le /b/ en anglais
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