La Lettre 45 - page 25

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Le 7 Juillet 2012, six biologistes éminents ont formulé la
« Déclaration de Cambridge sur la conscience »
(2)
, parrai-
née par Stephen Hawking. Le groupe comprenait des cher-
cheurs qui travaillent dans des domaines distincts et donc
complémentaires : le neurobiologiste Philip Low, initiateur du
projet, le spécialiste du rire chez les rats, Jaak Panksepp et
le neurophysiologiste bien connu David Edelman, ainsi que
Diana Reiss, Bruno van Swinderen et Christof Koch. À l’heure
où se pose la question du statut des animaux et de leurs
droits éventuels
(3)
, une telle déclaration ne peut manquer
d’attirer l’attention des neurobiologistes. Et de remettre en
cause une partie des concepts cartésiens qui sous-tendent
la biologie de ces derniers siècles.
… « Pour Descartes, le corps, celui de l’homme
comme celui des animaux, est une machine »…
La biologie moderne reste profondément cartésienne. Pour
Descartes, le corps, celui de l’homme comme celui des
animaux, est une machine {que Descartes assimile mala-
droitement aux automates de son temps
(4)
}. Seul l’homme
échappe à son statut de machine, car il possède en outre
une âme qui relève de Dieu. C’est ce qu’on appelle le dua-
lisme cartésien de l’âme et du corps. Dépourvus d’âme, les
animaux ne sont alors que de simples objets. Cette coupure
radicale entre les hommes et les animaux, très théorique chez
Descartes, a été caricaturée par ses successeurs et surtout
par Malebranche. On a rapporté que Malebranche battait
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Dans ses racines, la biologie est cartésienne. Elle reconnaît les
corps, humains et animaux, comme des systèmes matériels dont on
peut analyser et comprendre le fonctionnement. Mais le développe-
ment même des connaissances scientifiques amène à mettre en doute
la coupure radicale, également instituée par Descartes, entre l’homme
et les autres animaux. Cette mise en doute est particulièrement inté-
ressante dans le cas de la conscience, comme en témoigne la récente
« Déclaration de Cambridge sur la conscience », qui invite à considérer
les animaux comme les êtres sensibles et conscients qu’ils sont.
R
éflexion faisant suite à la déclaration
de Cambridge sur la conscience
anima
le, signée en juillet 2012
|
georges chapoutHier (1)
Tribune libr
des chiens et que, lorsque la pauvre bête aboyait, il concluait
que c’était identique à une horloge qui sonnait l’heure.
Il reste que l’héritage cartésien s’est avéré très puissant pour
le meilleur … et pour le pire
(5)
. Pour le meilleur, en considé-
rant les corps comme des objets matériels, Descartes posait
les bases philosophiques de la biologie moderne, telles
qu’elles sont explicitées par Claude Bernard. Pour le pire,
en privant les animaux d’âme, il en faisait de simples objets,
dépourvus de conscience, à la merci de l’homme, qui pouvait
les traiter à sa guise. Nous sommes tous très imprégnés de
ce modèle de pensée. Des concepts scientifiques comme
les tropismes, le conditionnement ou le behaviorisme, pour
utiles qu’ils aient pu être, sont très proches de la pensée
cartésienne de l’animal-automate.
… « sans pour autant renier ses racines carté-
siennes, la biologie est amenée à remanier cer-
tains de ses concepts d’origine »…
Mais le développement même de la biologie a amené à
fortement nuancer ses concepts. L’analyse même des orga-
nismes a permis de montrer combien leurs bases génétiques
ou physiologiques étaient proches de celles des hommes.
C’est ce constat de similarité qui sous-tend la Déclaration
de Cambridge. Un constat, bien sûr amplifié par la théorie
de l’évolution, qui montre la parenté historique de l’homme
et des (autres) animaux. Ce constat de similarité, que l’on
peut faire partout en biologie, les auteurs de la Déclaration
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