La Lettre 45 - page 19

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B
ibliographie
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(2) Mazoyer, B. et al. (1993). The cortical representation of speech, J Cog
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(3) Vigneau, M. et al. (2006). Meta-analyzing left hemisphere language areas:
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(4) Habas, P.A. et al. (2012). Early folding patterns and asymmetries of the normal
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(5) Everts, R. et al. (2009). Strengthening of laterality of verbal and visuo-spatial
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(6) Tzourio-Mazoyer, N. et al. (2004). Interindividual variability in the
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(8) Beaucousin, V. et al. (2007). FMRI study of emotional speech
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(9) Perrone-Bertolotti, M. et al. (2013). Neural correlates of the perception of
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(10) Lindell, AK. (2006). In your right mind: Right hemisphere contributions to
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131-148.
Le cerveau bilingue
Cheryl Frenck-Mestre
(Laboratoire Parole et
Langage, Aix-Marseille Université)
Depuis plusieurs décennies, l’étude de la représentation
du langage chez le sujet polyglotte occupe une place im-
portante dans la recherche, tant en linguistique qu’en psy-
chologie. L’apport des recherches en neurosciences aux
débats actuels sur ce sujet est indéniable (pour revue, 1).
Afin d’éclaircir cet apport nous aborderons ici trois ques-
tions, en commençant par la définition du bilingue. Nous
présenterons ensuite les recherches sur les compétences
linguistiques du bilingue en ce qui concerne la perception et
la production de la parole d’une part, puis l’acquisition de la
grammaire et la capacité du bilingue à réaliser en temps réel
le traitement syntaxique. Ces deux compétences semblent
en effet poser particulièrement de difficultés. Sous-jacente
à toutes ces questions est celle de l’impact de l’âge d’acqui-
sition, idem est le degré de maturation du cerveau lors de
l’acquisition, sur le niveau de compétence.
Qui sont les bilingues ?
La réponse à cette question dépend en partie de la dis-
cipline. Si pour les psycholinguistes, peut être considéré
comme « bilingue » un individu qui manipule quotidien-
nement ses deux langues sans qu’une définition précise
du niveau de compétence requise dans chaque langue
ou de l’âge d’acquisition de celles-ci soit donnée, les lin-
guistes réservent généralement ce terme à ceux qui ont été
confrontés aux deux langues simultanément et de manière
régulière depuis la naissance. Notons toutefois que dans
les deux disciplines les hypothèses quant aux compétences
linguistiques dépendent souvent de l’âge d’acquisition. Cette
notion de prééminence de l’âge d’acquisition, ou « période
critique », en ce qui concerne le langage met en avant le
caractère biologique de son développement et rejoint l’une
des idées centrales de la linguistique générative
(2)
pour
dépend principalement de l’HG qui est seul capable de
réaliser ce traitement. L’HG pourrait extraire les codes pho-
nologiques de manière très rapide, voire automatique.
Au contraire, l’HD pourrait détecter un mot écrit connu par
un traitement global, sans passer par un décodage phonolo-
gique. La sémantique, qui permet l’accès au sens des mots,
se ferait par un codage fin et un accès rapide au sens des
mots dans HG, alors que l’HD réaliserait un codage grossier
et serait ainsi plus sensible aux liens entre les mots. L’HD
aurait une spécificité pour le traitement du contexte et des
aspects paralinguistiques mis en jeu dans la communication,
comprenant également les aspects prosodiques et émotion-
nels. La prosodie est un bon exemple de latéralisation en
fonction de la perspective considérée: les régions temporales
de l’HD seraient particulièrement impliquées dans la percep-
tion de la prosodie affective [variation du ton en fonction de
l’émotion,
(8)
] alors que leurs homologues gauches seraient
cruciales dans la perception de la prosodie linguistique
[(phrase exclamative ou interrogative, pointage verbal;
(9)
].
Conclusion
La SH du langage est une notion complexe ouverte à d’autres
débats. Par exemple, bien que sa définition neuropsycholo-
gique implique une lésion cérébrale ayant une localisation
précise au sein d’un hémisphère (ici le gauche) entraînant
le trouble d’une fonction cognitive donnée (ici le langage),
cette définition reste relative puisqu’une fonction cognitive
n’est pas soutenue exclusivement par un seul hémisphère.
Selon la propriété de « complémentarité hémisphérique » qui
assume l’implication bi-hémisphérique pour des fonctions
complexes telles que le langage, il est important de mieux
comprendre l’implication langagière de l’HD
(10)
. Par ailleurs,
les hémisphères cérébraux ayant des modes (styles cognitifs)
de traitement qui leur sont propres, analytique pour l’HG et
global pour l’HD, il est important d’en tenir compte en relation
avec les capacités développées par chaque hémisphère
pour la perception et la production du langage.
En conclusion, la SH du langage est un phénomène dyna-
mique et modulable s’appuyant sur l’interaction permanente
entre les informations ascendantes (afférentes, bottom-up) et
descendantes (efférentes, top-down), conférant un pattern
spécifique de spécialisation dans un contexte donné. La
participation hémisphérique doit être pensée comme un
continuum et soulève la question de la nature des interactions
inter-hémisphériques et des modes de traitement de l’infor-
mation. De multiples arguments suggèrent la coexistence
des mécanismes d’interactions inter-hémisphériques de
nature excitatrice et inhibitrice. L’efficience et l’importance
de ces interactions dépendraient de facteurs tels que la
« fonctionnalité » des régions spécialisées, des variables
démographiques, des paramètres linguistiques, mais aussi
des mécanismes d’apprentissage et de mémorisation spé-
cifiques à chaque individu.
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