La Lettre 45 - page 13

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LA VOIX CHANTÉE : EXPLORER LA BOUCLE
AUDIO-VOCALE EN MUSIQUE
Yohana Lévêque, Barbara Tillmann
(Centre
de Recherche en Neuroscience de Lyon),
Dani ele
Schön
(Institut de Neurosciences des Systèmes, Mar-
seille)
Dans les années 2000 apparaissent les premières études
en neuroimagerie fonctionnelle sur les corrélats cérébraux
de la voix chantée. Mais les recherches qui suivront restent
timides, surtout comparées à l’explosion des neurosciences
de la parole. Le chant représente pourtant un objet de re-
cherche riche, soulevant des questions relatives à la voix, à la
musique, au langage, et à leurs interactions. Dans les lignes
qui suivent, nous présentons quelques questions actuelles
de ce domaine de recherche en plein développement.
Musique et parole dans la perception du chant
Une première question concerne la façon dont le cerveau
traite et intègre les dimensions linguistique et musicale dans
le chant. Cette question a suscité un intérêt particulier dans
la mesure où elle touche au débat sur la modularité des
fonctions cognitives, et plus précisément la modularité du
langage et de la musique. En effet, un ensemble de données
suggère que le langage et la musique sont traités par des
substrats cérébraux distincts, ce qui peut laisser penser que
les traitements de ces deux types d’informations sont indé-
pendants. Mais d’autres données révèlent des interactions
entre traitement de la musique et traitement de la parole,
suggérant l’utilisation de ressources cérébrales communes.
À l’appui de cette dernière hypothèse, plusieurs études ont
montré un effet de la dimension musicale sur la dimension
linguistique et ceci à différents niveaux de traitement linguis-
tique. Par exemple, Bigand et collaborateurs ont montré que
dans une tâche de détection de phonème dans des syllabes
chantées, les participants étaient plus rapides à détecter une
voyelle lorsqu’elle était chantée sur un accord musicalement
attendu, que sur un accord musicalement moins attendu
(1)
.
Des résultats similaires ont également été rapportés dans
des tâches de décision lexicale, révélant une influence de
la musique sur le traitement sémantique de l’information
langagière. Le traitement des structures syntaxiques semble
également être influencé par la tonalité musicale
(2)
. Enfin
des interactions entre les aspects phonologiques du chant
et la dimension de l’intervalle musical ont aussi été démon-
trées
(3)
. Ces expériences montrent donc une interaction
entre le traitement de la parole et de la musique, quand les
niveaux phonologique, lexico-sémantique et syntaxique du
langage sont combinés avec les niveaux harmonique et
mélodique de la musique. De façon intéressante, certaines
de ces interactions peuvent être observées que l’attention du
sujet soit dirigée vers le contenu musical ou vers le contenu
linguistique. Ces résultats ont été répliqués en neuroimagerie,
révélant par exemple un effet de la dimension mélodique sur
... « ces résultats indiquent une stratégie de
codage dans laquelle chaque voix est codée en
fonction de sa différence acoustique avec un
« prototype vocal » interne »…
L’activité cérébrale de sujets normaux a été ensuite étudiée
en IRMf pour mesurer la réponse de leurs « aires de la voix »
à chacun des différents stimuli. Les résultats montrent que les
voix ayant la plus grande distance à la moyenne sont aussi
celles qui induisent le plus d’activité cérébrale, tandis que
les voix acoustiquement proches de la moyenne, et donc peu
distinctives, induisent une faible activité cérébrale.
Ces résultats indiquent une stratégie de codage dans laquelle
chaque voix est codée en fonction de sa différence acous-
tique avec un « prototype vocal » interne, qui est différent
pour les voix d’homme et pour les voix de femme. La nature
de ce prototype, ainsi que sa susceptibilité à l’historique de
stimulation vocale sur le court et sur le long terme, restent
inconnues. Une caractéristique importante de ces résultats
est qu’ils démontrent une stratégie de codage de l’identité
vocale très similaire à celle mise en évidence dans le cortex
visuel pour les visages, suggérant que le cerveau utilise des
stratégies similaires par-delà les modalités sensorielles pour
résoudre des problèmes computationnels similaires.
R
éférences
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