La Lettre 45 - page 27

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des animaux sensibles et particulièrement pour ceux qui
manifestent une certaine conscience. Elle concerne aussi
beaucoup d’autres domaines que la recherche scientifique.
Egorger une vache en pleine conscience ou jeter une truite
vivante dans l’eau bouillante amène à poser de graves
questions éthiques que je n’aborderai pas ici, renvoyant à
l’abondante littérature qui a fleuri sur le sujet
(9)
. Comme le
présent article s’adresse à des chercheurs, je me limiterai
à la recherche scientifique. Il est clair que la Déclaration de
Cambridge appelle à de nouvelles réflexions et à de nouvelles
contraintes sur la manière dont nous devrons, dans le futur,
considérer et traiter les animaux d’expérience. Dire cela n’est
pas une condamnation
a priori
de toute recherche expérimen-
tale sur les animaux, dont les conséquences pour la santé
humaine pourraient, dans l’état actuel de notre civilisation,
être désastreuses. Mais la Déclaration invite à considérer
les animaux comme les êtres sensibles et conscients qu’ils
sont, et à inclure cette considération dans la manière de
concevoir les expériences à venir.
Ici encore, on rencontre une gradation évolutive : on ne peut
pas traiter de la même manière une abeille et un chimpanzé.
À une question qui m’avait été posée lors d’un récent congrès
sur la souffrance animale
(10)
, j’avais répondu que, dans l’état
actuel des connaissances, (et, ici encore, des réévaluations
périodiques seront nécessaires), on pouvait distinguer trois
grands groupes d’animaux sensibles : les vertébrés à sang
chaud plus les pieuvres, les vertébrés à sang froid plus
peut-être quelques invertébrés, le reste des invertébrés. On
retrouve, dans le premier groupe, les animaux explicitement
mentionnés en conclusion de la Déclaration.
La manière dont le législateur futur devra tenir compte des
aptitudes et des besoins des différents animaux, reste un
problème ouvert. Il reste que la Déclaration de Cambridge
permet d’éclairer d’un jour nouveau, et plus favorable aux
animaux, les relations séculaires entre l’homme et ses
cousins, que la pensée post-cartésienne avait fait dériver
vers le concept désastreux de l’animal-objet, dépourvu de
conscience.
La Déclaration de Cambridge permet à la biologie moderne,
dans son héritage cartésien, de conserver le meilleur et
d’éliminer le pire.
(1) Neurobiologiste et philosophe, Directeur de Recherche Emérite au CNRS,
membre du Comité National de Réflexion Ethique sur l’Expérimentation
Animale (CNREEA).
(2)
.
pdf. Voir aussi la conférence qui eut lieu sur le même thème http://
fcmconference.org/.
(3) Chapouthier G., Kant et le chimpanzé –Essai sur l’être humain, la morale
et l’art, Éditions Belin, Paris, 2009
(4) Frédéric Kaplan explique que chaque époque utilise ses conceptions
techniques pour expliquer le vivant : métaphore hydraulique dans
l’antiquité, des automates chez Descartes, de l’électricité au XIX° siècle
et de l’ordinateur aujourd’hui (Chapouthier G., Kaplan F., L’homme, l’animal
et la machine-Perpétuelles redéfinitions, CNRS Éditions, 2011).
(5) Chapouthier G., Impact de l’animal-machine sur la biologie moderne :
triomphe épistémologique et désastre moral, L’esprit cartésien, Actes du
XXVI° Congrès de l’association des Sociétés de Philosophie de Langue
Française (ASPLF), Vrin éditeur, Paris, 2000, Tome II: 742-744.
L’Homme, l’Animal et la
Machine
Collection : Le Banquet
scientifique
,
2 011
Georges Chapouthier
Frédéric Kaplan
(6) Proust J., Les animaux pensent-ils ? Bayard: Paris, 2003, et aussi Kant et
le chimpanzé –Essai sur l’être humain, la morale et l’art, op.cit.
(7) Rose J.D., The neurobehavioral nature of fishes and the question of
awareness and pain, Reviews in Fisheries Science, 2002, 10 : 1
(8) Chapouthier G., L’expérimentation animale douloureuse: un dilemme
éthique face à la science et au droit,
dans : Auffret Van Der Kemp T., Lachance M. (sous la direction de),
La souffrance animale : de la science au droit, Éditions Yvon Blais,
Cowansville, Québec, Canada, 2013, sous presse
(9) Goffi J.Y., Le philosophe et ses animaux ; du statut éthique de l’animal.
Éditions Jacqueline Chambon : Nimes (France), 1994; De Fontenay E.,
Le silence des bêtes - La philosophie à l’épreuve de l’animalité. Fayard :
Paris, 1998; Auffret Van Der Kemp T., Nouët J.C., Homme et animal : de
la douleur à la cruauté. L’Harmattan : Paris, 2008; Jeangène Vilmer J.,
Ethique animale. Presses Universitaires de France: Paris, 2008.
(10) Voir La souffrance animale: de la science au droit, op. cit.
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