La Lettre 51 - page 27

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Les résultats ont montré
des effets significatifs
de la culture (variation
inter-individuelle) et de
l’information sémantique
(variation intra-indivi-
duelle), aussi biensur les
réponsesverbalesquesur
la physiologie : par exemple,
l’odeurdewintergreenétaitplusap-
préciéeauQuébec tandisque l’odeurde lavande
étaitplus familièreenFrance, et laprésencedunomde
l’odeuraugmentait soncaractèreagréable, ralentissait le
rythme cardiaque et diminuait le flairagede l’odeur.
La combinaisondes facteurs culture et langage
amontré que la présence du nom de l’odeur
tendait à diminuer les différences culturelles
et àuniformiser les réponses tant perceptives
quephysiologiques.
Conclusions
En résumé, les travaux dans ledomaine indiquent que le
développement olfactif humainest fortement influencépar
l’environnement,de lavie fœtaleà l’âgemûr, cequi explique
une bonne part des différences culturelles observées.
Ilsconfortent l’idéeque lecontexteet la transmissiondespra-
tiquespeuventêtreà la racinedesdifférencesentregroupes
et entrecultures. Le langage lui-mêmeaun rôle important
parcequ’il peut avoiruneactionunificatricesurdespercep-
tions provenant d’arrière-plans culturels distincts : il pour-
rait à lui seul réduire la variation inter- et intra-individuelle.
Les représentationsmentalesactivéespar de l’information
sensorielleoupardessouvenirs individuels liésauxodeurs
ontdeschancesd’êtreplushétérogènesquecellesactivées
par des noms, qui permettent de fixer, de résumer et de
mémoriserdessituationscomplexes. Il nous faut cependant
signalerune lignede rechercheencorepeuexplorée:quelle
est lapartde lagénétiquedans l’hétérogénéitédespercep-
tions?Dans laplupartdesétudes, riennepermetd’écarter
l’idéequ’enplusde l’environnement, legénomedechaque
population contribue à sadifférenciation et explique ainsi
unepartiedesdifférencesditesculturelles.Onpeut tenter
de répondreàcettequestionencomparantdespersonnes
ayantdescaractéristiquesgénétiquescommunesmaisqui
vivent dansdesculturesoudespaysdifférents.
R
éférences
(1) Mainland JD. et al (2014).NatNeurosci. 17(1):114–20.
(2) KellerA. et al. (2007)Nature. 449(7161):468–72.
(3) Schaal B. et al. (2000)ChemSenses. 25(6):729–37.
(4) HallerR. et al. (1999)ChemSenses. 24(4):465–7.
(5) MennellaJA. etGarciaPL. (2000)AlcoholClinExpRes. 24(8):1167–71.
(6) Schaal B. et al. (1997)ChemSenses. 1997;22(2):181–236.
(7) Poncelet J. et al. (2010)BehavBrainRes. 208(2):458–65.
(8) Ferdenzi C. et al. (2013)ChemSenses. 38(2):175–86.
(9) HerzRS. et vonClef J. (2001) Perception. 30(3):381–91.
(10) Ferdenzi C. et al. (2016)ChemSenses. Souspresse.
neurophysiologiques de ces participants, à
savoir les potentiels chimio-sensoriels évo-
qués par l’odeur dementhe, présentaient
une latenceplus longuepour l’ondepositive
P2 (unecomposante tardivequi apparaît 500
msaprès laprésentationstimuluset traduit un
traitement cognitif de l’odeur) ; cettedifférence
par rapportaugrouped’origineEuropéennen’a
pasétéobservéepour l’odeur de rose.
Ces résultatsconfirment la
plasticitédusystèmeolfac-
tif déjà démontrée chez
l’animal: àuneexposition
différente correspondent
des traitements cérébraux
différents. D’autres études
transculturelles ont confirmé
que l’appréciationd’uneodeur
dépendde la fréquenced’ex-
position. L’exposition, source
de familiarité,n’estcependant
pas le seulmoyenpar lequel la
culture façonnenotreuniversolfactif : le langageet lacogni-
tiony jouentun rôlecrucial,ainsique lecontextedans lequel
lesodeursnousparviennent.
Cognitionolfactive, langageet culture
Unexemplequi illustre l’effetducontexteetde l’usagesur la
perceptionolfactiveest fourni par lamoléculedesalicylate
deméthyle. Cet odorant est présent enAmériqueduNord
dans lesbonbonset lesboissons (wintergreen)alorsqu’en
Europeon le rencontreplutôt en contextemédicinal, dans
lesbaumesmusculairesparexemple:ceci expliquequeson
odeur soit jugéebeaucoupplus agréableenAmériquedu
Nord.Lespratiquesculturellesd’usagedesodeurs (cuisine,
hygiène, esthétique) peuvent aussi se transmettre entre
groupes ; ainsi, deux populations géographiquement très
éloignéesmaisqui ontunehistoirecommune, l’Europeetune
desesanciennescoloniesbritanniques,Singapour, ontdes
réponsesaffectivesauxodeursplussemblablesquedeux
populationsasiatiquesentreelles,Singapouret laChine
(8)
.
L’information sémantiquedisponiblequand nous sentons
uneodeurest elleaussi déterminantepournotreévaluation
affective.Uneétudeoù lesparticipantsdevaientévaluercinq
odeurs associées à un label verbal soit positif, soit néga-
tif (par exemplepour l’odeur depatchouli, «encens» ou
«cavehumide») amontréquecet étiquetage influence le
jugement affectif
(9)
.Récemment,deschercheurs français
et canadiens
(10)
ont étudié l’effet combinéde lacultureet
des connaissances sémantiques (présence ou absence
de dénomination de l’odeur), dans deux populations qui
diffèrent culturellementmaispartagent la langue française:
des participants français et québécois ont senti quatre
odorants spécifiques à chaque culture et deux odorants
nonspécifiques,dansdeuxconditions, avecousans label.
Ils devaient juger l’intensité, la familiarité, la comestibilité
et la valence hédonique des odeurs ; en parallèle leurs
réponses psychophysiologiques étaient enregistrées.
©Dessin:SimonRouby
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