La Lettre 51 - page 28

La lettre
n°51
ossier
Quelle place pour le nez dans le
monde de demain ?
Roland Salesse
(UnitédeNeurobiologiede
l’Olfaction, INRA, Jouy-en Josas)
Nuit de la St-Sylvestre, 2013 : le tout-Londres se presse
comme tous lesansau feud’artificede«Newyear’seve»,
undesplusgrands spectaclespyrotechniquesdumonde.
Maiscelui-cipossèdeun«goût »aussiparticulierquenova-
teur: lesconfettis, lesbulleset laneigesont comestibleset
aromatisésà labanane, à l’orangeouà lapêche, tandisque
lesexplosionsdes fusées répandentunparfumde fraise
(1)
.
Peut-êtrecespectaclepréfigure-t-il l’avènementde l’odorat
qui, serait « lesensdu futur »selonAnnickLeGuérer
1
.Mais
ne l’est-il pasdéjà ?
Promenadeolfactivedansnotreviequotidienne
D’aprèsAlainCorbin
(2)
, jusqu’audébutdu19
e
siècle, sans
égouts, sans ramassaged’ordure, sanshygiènequotidienne,
vraisemblablement les gens puaient, les rues puaient, les
maisonspuaient. La révolutionhygiénisteabalayé tout cela.
Àpartirdumoment où lesmicrobesont étéaccusésde tous
lesmaux -dont celui degénérer des pestilences- on les a
chassésdenotrevie.
Une sorte d’anosmie collective se serait-elle installée au
20
e
siècle, aumoins dans les pays riches ?Mais voilàque
lemarketinget lapublicité, aprèsavoir saturénotrevisionet
notreouïe, sesont tournésverscesensencorepeuexploité:
l’odorat.Si l’on réfléchitbien,qu’est-cequi,désormais, n’est
pasodorisédansnotre viequotidienne ?
Commençonsdoncnotre journéeavec le réveil olfactif dont
l’auteur, un jeune Français, aurait séduit legéant Google
2
.
Ensuite,passonsaupetit-déjeuneret àson inévitablearôme
decafé.Puis,allonsdans lasalledebainoùc’estunvéritable
déchaînement : savonparfumé, produits de toilette oude
maquillage, shampooing, linge lavéauxproduits odorisés,
après-rasage,déodorant (parfumé !)et,…onajouteencore
une touche de parfum. Parfumqui va semêler à celui de
l’habitaclede notre véhicule, lui aussi odorisé… à l’odeur
devoiture !Dans la rue, on respire lesgazd’échappement
et, dans les transportsencommuns, lebouquet desautres
voyageurs.Versmidi, les ruesprèsdes restaurantssentiront
legraillonet lesoir, le remugledespoubelles, voiredesuri-
noirssauvages, nous rappelleraque lesvillessont vivantes
et que lesmicrobes subsistent ! Aupassage, nous aurons
sansdoutecroisédesémanationsdeproduitsd’entretienet
desmagasinspourvusde logos olfactifs. Enfin, nous irons
nous réfugierà lamaison«ambiancée»pardesdiffuseurs
d’arômedont lesassociationsdeconsommateursdénoncent
les dangers potentiels, responsables qu’ils sont de lapol-
lution intérieure. Bref, notre vie est un théâtre olfactif mais
nousn’avonspas l’impressiond’être lesauteursde lapièce ;
est-cequenousnous y« sentons»bien ?
Il faut croirequenonpuisqu’onvoitdeuxmouvementsanta-
gonistes : l’un qui réclame la suppression des odeurs, et
l’autrequi recherche les fragrances «naturelles», lespar-
fums«bien-être»et qui va jusqu’à l’aromathérapie.
Bien-êtreet aromathérapie
Eneffet, certainsparfumspossèdentdesvertusapaisantes
(lavande), énergisantes (menthe), stimulantes (agrumes).
Mais dans ledétail, l’important semble résider dans la re-
lation entrepraticien et client
(3)
. En France, l’association
CEW (CosmeticExecutiveWomen)prodigueauxpersonnes
hospitalisées des soins cosmétiques très appréciés ; les
équipes soignantesmettent enœuvredesprotocolesmul-
ti-sensoriels (dont l’olfaction) pour stimuler des patients
dans lecomaouvictimesdemaladiesneurodégénératives.
ÀSingapour, Givaudan, leplus grandproducteurmondial
dematières premières pour la parfumerie, participe à la
créationd’un hôpital dédié à l’aromathérapie. On n’en est
sansdoutequ’au tout début.
Si lapratiqueest riche, la littératurescientifiqueest pauvre.
De son analyse, Rachel Herz
(4)
ne retient que 18 articles
dont elleconclutque l’effetpsychologiquedesodorantsest
vraisemblable, lesquantités inhaléesnepouvant justifierune
actionpharmacologique.
Dans cette lignée, on voit déjàdes jeunes entreprisespro-
poserdessortesdecocons relaxantsmultisensorielsoù l’on
diffusedescouleurs,de lamusique,desstimulations tactiles
et, bien sûr, desodorants.
Diagnosticet surveillanceolfactifs
Si la«vieille»médecinen’ignoraitpas lediagnosticolfacto-
gustatif, sonenseignement s’est interrompudans lesannées
1970.Onassistecependant àson renouveau, notamment à
la suited’unarticleparudansTheLancet
(5)
: unechienne
reniflait sansarrêt la jambedesamaîtresse.Aprèsexérèse
d’unmélanome, l’animal n’a plusmanifesté d’inquiétude.
Depuis, lespublicationssesontmultipliées.Outre leschiens,
des ratspeuvent êtreéduquésà reconnaître la tuberculose
dans les crachats
3
. Les chiens sont aussi utilisés dans la
recherche et l’identificationdes personnes: l’entraînement
et lasélection individuelledesanimauxsont cruciaux,mais
les résultats sont probants : 90%de résultats positifs, et
surtout sans faux-positifs
(6)
.
Les nez électroniques, déjàbien implantésdepuisplusde
30ansdans lecontrôledesmatièrespremièreset despro-
cessus industriels, notamment en agro-alimentaire, mais
aussi dans la surveillanceenvironnementale, ont étémobi-
liséspourdétecteraussi biendesmaladiessomatiquesque
psychologiques
(7)
. Ils sont basés sur des capteurs semi-
conducteursdont lespropriétésélectriquessemodifient lors
de l’adsorptiondeproduits chimiques. Ils n’effectuent pas
d’analysechimiquecomme les systèmesGC-MS
4
,mais le
profil des cinétiques d’adsorption-désorption est caracté-
1
AnnickLeGuérer, anthropologue, historienne et philosophe, a
beaucoup contribué au renouveau de l’intérêt pour l’odorat:
francais-a-amsterdam-lodorat-sens-du-futur/
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