La Lettre 51 - page 34

La lettre
n°51
ribune libre
tubuline et microtubules ne sont pas propres aux cellules
nerveusesmais sont présentsdans toutes les cellules ani-
maleset végétales, lesagents telsquecolchicine, vinblas-
tineet taxol qui détruisent lesmicrotubules n’affectent pas
la conscience, les agents anesthésiants qui abolissent la
consciencen’ontaucuneffet sur lesmicrotubules, la tubuline
et lesmicrotubulesnesemblentpas intervenirdans lecycle
éveil-sommeil qui provoquedesmodificationsmajeuresde
l’état deconscience.
Cemodèle de Penrose et Hameroff a connu une grande
popularité
(1)
; il permettait également de transcender la
conscience: réduirecelle-ci à l’étatdesimplesphénomènes
neuronauxmoléculairesetcellulairesaquelquechosede très
réducteur, voiredégradant, alors que lapropositionquan-
tiquepermetdeconserverunepartdecemystèrepropreà
l’esprithumain.Deplus,etmêmenaturellement,cette théorie
quantiquepermetauxadeptesduparanormald’yvoir làune
clef pour aborder, voire expliquer les phénomènes y atte-
nants,prémonition, télépathie,perceptionsextrasensorielles,
médiumnité,... Encorede nos jours, certains pensent que
physiquequantiqueet conscience sont intimement liées.
Laconsciencea-t-elleunenaturebiologique?Leproblème
est qu’on n’y apas un accès direct. Plusieurs biologistes
ont été influencés fortement par lapensée cybernétique :
l’informatique naissante lors de la SecondeGuerremon-
diale et sondéveloppement dans les années qui ont suivi
ont conduit à voir l’ordinateur comme unmodèle évident
de l’esprit humain. L’approche computationnelle, devenue
cognitiviste, néedans lesannées50et qui perdura jusqu’à
lafindesannées80, détermine lapenséecommeétant un
traitement de l’information. Néanmoins le
cognitivisme
qui
réduit lecerveauàunsimpleappareil qui utiliseetmanipule
des représentationssymboliquespardesopérations logiques
prête leflancàde tropnombreusescritiques.Cecourant a
fait laplaceà lafindesannées80au
connexionisme
.Comme
son nom l’indique, le connexionisme repose sur l’idéede
réseaux de neurones interconnectés formant des unités
simplesà labasedeprocessusconscients. Les réseauxde
neuronesartificielssont connusdepuis lesannées50mais
leurdéveloppement aconnuunessor fondamental lorsque
l’on amontréque ces réseaux de neurones artificiels sont
capables d’apprendrepar l’expérience. Les industriels se
sont intéressésàcessystèmes, utilisésaujourd’hui pour les
prédictionsdescoursboursiers, lesvaleursdesentreprises,
lesprévisionsmétéorologiques, la reconnaissancedecarac-
tères (visages,courriers,chèques,...),etc.Leconnexionisme
tiresesoriginesdecesmodèlescybernétiquesde réseaux
neuronauxartificielsappliquésenneurobiologie: il yadonc
dans le cerveaudes groupes de neurones, structurés en
réseaux, dont l’activité lorsqu’elle franchit un seuil, permet
l’émergence de phénomènes conscients. La grande dif-
férence entre les unités de neurones réels et les unités de
neurones artificiels est que les connexions et la force de
celles-ci semodifient continuellement avec l’expérience.
Cecourant connexionisteprévaut largement actuellement,
maisquellesensont sesbasesmoléculaireset cellulaires?
Lagrandedécouverte est que, dans le cerveau, les neu-
ronesqui sont impliquésdans laperceptionconscientepar
exempled’unobjet (forme, couleur, environnement)nesont
pas géographiquement prochesmais sont localisés dans
diverses régions.En revanche, ilssont actifssimultanément,
onparlede
synchronisation temporelle
de l’activiténeuronale.
Lepionnieren lamatière futChristophvonderMarlsburgqui
à l’InstitutMax-PlankdeChimieetBiophysiqueàGottingen
explora l’hypothèsede l’activitésynchroniséedesneurones
résolvant leproblèmede liaisonde neurones traitant d’un
mêmeobjet
(2)
.Cettehypothèse futpar lasuiteconfirméepar
AndreasEngel etWolf Singer (InstitutMaxPlankduCerveau
àFrancfort)qui décrirent en1989 laprésenced’assemblées
deneurones réagissant simultanémentdans lecortexvisuel
du singe à laprésentationd’objets
(3,4)
. Par la suitedans
lesannées1990et 2000, FrancisCricket Christof Kochau
Salk Institutecontribuèrent par uneséried’articles retentis-
santsàétayer le rôlede lasynchronisation temporelle
(5-7)
.
Ils établirent que l’activité synchronisée entre 35 et 75Hz,
rythmeque l’ondésigneen tant qu’oscillations«gamma»,
est lecorrélat de laperceptionvisuelleconsciente.Cricket
Koch identifièrentdesassemblées transitoiresdeneurones
à oscillation gamma dans d’autres régions que le cortex
visuel, suggérantd’autrescaractéristiquespropresà l’objet
et à l’individu (odeur, histoire, émotions,...), le tout étant la
représentationconscientecomplètede l’objet
4
.
Deplus cetteoscillationgamman’apparaît pas commeun
paramètregénéral, puisquedesoscillationsd’assemblées
de neurones à d’autres fréquences que 35-75Hz ont été
décrites.Ainsi LawrenceWard (UniversitédeColombieBri-
tannique, Vancouver) amontréque lesmodulations de la
synchronisationdécritescomme thêta (4-7Hz), alpha (8-15
Hz),etgamma (30-50Hz),quecesoità l’intérieurdes régions
cérébrales oubienentreelles, pourraient êtreassociées à
des fonctions cognitives variées, telles que laperception,
lamémoireet l’attention, voireégalement laconscience
(8)
.
Onpourrait caractériserchaquegroupedeneuronesoscil-
lant à un instant « t » pour un objet donné sous la forme
d’unematrice à trois dimensions (au sensmathématique
du terme), celle-ci représentant la localisationdesneurones
dans l’espace cérébral. Ainsi, unepremièrematrice com-
posée de trois, quatre neurones oscillants caractérise la
pommedans le cerveaud’Alex, et celle-ci semodifie lors
de la reconnaissancede la nature api de lapomme ; une
secondematriceémergeensuitepour lanappegrise, et la
combinaisondesdeuxconduitsà lacomptine. Lesmatrices
«
pommed’api
 »et «
nappegrise
 » se sont élaborées lors
dephasesd’apprentissagede l’enfanceet resterontancrées
dans le cerveau toute la vie. Mais comment se créent ces
matrices ?Ce n’est certainement pas le fruit du hasard,
4
Christof Koch vient de publier en juillet 2016 dans Nature
Reviewsunarticleconséquentdéveloppantcomment la théoriede
l’information intégrée intervientdans larelationentreconscience
et cerveau. TononiG, BolyM,MassiminiM, KochCNatureRev.
2016, 17, 450-61.
1...,24,25,26,27,28,29,30,31,32,33 35,36,37,38,39,40,41,42,43,44,...50
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