La Lettre 48 - page 25

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Epigénétique,mémoireetmaladiesneurodégénéra-
tives
Lacapacitéà formeret àstockerde lamémoiresur le long-
terme,allantdequelques joursàplusieurssemainesetmême
pendant toute une vie, est une des fonctions du cerveau
essentiellesà l’adaptationet à lasurvie. Lamémoireà long-
termenese formepas immédiatementaprès l’apprentissage
maissedéveloppeavec le temps. Lacapacitéàse rappeler
unsouvenirest initialement fragile,maispardesprocessus
de stabilisation connus sous le nomde «consolidation»,
les souvenirs deviennent résistants aux interférences
(5)
.
Lesmécanismes biologiques qui sous-tendent la consoli-
dationcommencent avecunephase rapided’expressionde
nouveauxgènes, appeléeconsolidationcellulaireoumolé-
culaire. La transcriptionde l’ADN est donc unmécanisme
fondamental pour la formationde lamémoireà long-terme.
La transcriptiongénèredes transcritsqui seront traduitsen
protéines,nécessairesà lacroissancedenouvellesconnec-
tionssynaptiques,ainsiquedesARNnon-codantsqui ontun
rôlede régulateuroud’effecteurde l’expressiondesgènes.
Il en résulte une cascade d’événements qui conduit aux
changementsstructurauxpermettant lestockaged’unsou-
venir à long-terme.Cette transcription«
denovo
 », critique
pour laplasticité synaptiqueet la formationde lamémoire,
est orchestréepar lachromatineet lesmodificationsépigé-
nétiques. Lacomplexitéde la régulationde la transcription,
saprogressiondans le temps, et les effecteurs ainsi pro-
duits, contribuent tousà laflexibilitéet à lapersistancede la
mémoireà long-terme.Eneffet,onpenseque lapersistance
desprofilsd’expressiondesgènes, etde fait, l’organisation
de lachromatineet lesmodifications associées (ADN, his-
tones) contrôlent le rappel d’une informationen régulant la
transcriptionqui vapermettredeproduire leschangements
structurelsdes synapses
(6)
.
«Appliquées à l’étudedu cerveau, les nou-
velles techniques de séquençage àhaut débit
permettent aux chercheurs enneurobiologiede
décrypter les signatures épigénétiques associées à
lamémoire et auxmaladies neurodégénératives»
Parceque laconsolidationet la reconsolidationdedifférents
typesdemémoireutilisent différentssystèmesdemémoire
et sont opérés par différentes structures du cerveau, il est
probablequedifférentsprofilschromatinienssoientà l’œuvre
de façon neurone-spécifique et qu’ils évoluent différentiel-
lement avec le temps.Ainsi, pour comprendrecomment se
fait la consolidationde lamémoire au niveaude l’expres-
siondesgènes, il est nonseulement nécessaired’identifier
les profils d’expressiondes gènes induits par l’apprentis-
sage (séquençage à haut débit, RNA-sequencing), mais
également les interactions combinées entre les différents
facteursde transcription, lesco-facteurs, lesmodifications
et le remodelage de la chromatine (histone, ADN) asso-
ciés (ChIP-sequencing, voirencart)de façonglobaleplutôt
qu’isolée.Deplus, laconsolidationet la reconsolidationde
lamémoiresontdesprocessusdynamiquesqui évoluent et
changent avec le temps, et il estdoncnécessaired’identifier
l’évolution temporelledesmécanismesmoléculaires sous-
jacentspourcomprendre lesprocessusdeconsolidationde
lamémoire, et enparticulier lemaintien et le stockagede
lamémoire. Bienque cette complexité ait jusqu’àprésent
freiné la compréhensionglobalede ces événements, cer-
tainschangements spécifiquesde lachromatine jouant un
rôlecritiquedans la formationet le stockaged’un souvenir
ont été élucidés. Par exemple, il a étémontréque l’acéty-
lationdes histones (et des enzymes acétyltransférases et
déacétylasesassociés) joueen rôleessentiel dans laLTP, la
plasticitéet la formationd’unemémoire
(7,8,9)
.Notamment,
le rôle importantde l’acétyltransféraseCREB-BindingProtein
(CBP) dans lamémoire a étémis en évidence à l’aidede
modèlesanimauxet desdonnéescliniques soulignent son
importancedans lesmaladiesneurodégénératives
(10, 11)
.
Enfin,dans laplupartdesmaladiesneurodégénératives,des
dérégulations transcriptionnelles, ainsi quedes altérations
épigénétiquesont été indépendammentmisesenévidence.
Laquestion est de savoir si ces altérations épigénétiques
ont un rôle causal, ou si elles sont uneconséquencede la
pathologie, voireunépiphénomène.Eneffet,pour lemoment,
trèspeud’étudesmontrent le lienentrecesdeuxévénements
(voir l’exemplede lamaladiedeHuntingtondécrit ci-des-
sous). Les traitementsactuelsdesmaladiesneurodégéné-
rativesn’arrêtentpas leurprogression ; aumieux, ils la ralen-
tissent.Lamisesur lemarchédemodulateursépigénétiques
dans le traitementdescancers (parexemple, les inhibiteurs
deHDACs)ouvreaussi lavoieà leurdéveloppementpour les
maladiesneurodégénératives.Cependant, seule laconnais-
sancedesmécanismes épigénétiques affectés dans ces
maladiespermettradedévelopperefficacement cespistes
thérapeutiques innovantes
(figurepage24)
.
Directions futures
Comment laplasticitéde lachromatineet lamachinerieenzy-
matiquequi lui est associéecontribuent-ellesà la formation
de lamémoireet auxdéficitsmnésiquesdans lesmaladies
neurologiques ou neurodégénératives ?C’est le défi que
relèvent actuellement les chercheurs en neurobiologie, en
appliquant lesnouvelles techniquesdeséquençageàhaut
débità l’étudeducerveaupourdécrypter la transcriptomique
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