La Lettre 53 - page 33

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ment ou imposé, seul ouassisté)pourque l’addictiondispa-
raisse.Celas’exprimepar les rechutes répétées (c’est-à-dire
le retouràunusageposant lesmêmesproblèmes).Pendant
longtemps, beaucoup ont vudans la rechute la responsa-
bilitéde l’usager, sondéfaut d’attention oudemotivation.
Laquestion resteposéedesavoirsi l’usageravecuneaddic-
tiongardeune responsabilitédans l’usage
(4)
. Pourtant les
plusobservateursavaient rapportéque les rechutessontpré-
cédéesd’expériencesdouloureusesd’envies involontaires,
fluctuantes et qui apparaissent d’autant plus que les per-
sonnes tententdecontrôler l’utilisationexcessivepar la res-
triction.Cetteexpériencedéroute laplupartdespersonnes
qui ensont victimes, et lesmotspour ledire leurmanquent.
Cetteenviepathologiquecorrespondàceque l’onappelle
en français lecravinget qu’il ne faut pasconfondreavec le
mot anglais ordinairedecraving
(5)
. C’est une expérience
psychologiqued’intrusiond’undésir étranger qui contraint
à faire contre la volonté. Le cravingpourrait être au cœur
de l’addiction commemarqueur spécifique et pronostic.
Contrairement ausevrageet à la tolérancequi se résorbent
rapidement (de quelques jours à quelques semaines), le
cravingpersistedesannéesmalgré l’interruptionde l’usage
de la substance ou du comportement et ses fluctuations
prédisent fortement l’usageet la rechute.Celaestmaintenant
clairement rapportépour toutes les substances
(6)
, le jeu
pathologique
(7)
et l’addiction alimentaire
(8)
. C’est cequi
a justifié son introductionparmi les critères diagnostiques
de l’addictiondans la révisionduDSM5.À terme, il pourrait
remplacer unepartiedescritèresprécédents.
Recentrer la thérapeutiquesur l’essentiel, c’est-à-dire
ladérégulationde l’usageet lecravinget nonsur les
seulesconséquencesde l’usage
Sidans lapriseencharged’uneaddictionondoitprendreen
compte lesconséquencesnégativesde l’usageet lorsque
c’est possible, les prévenir, cette nécessaire préoccupa-
tion toxicologique ne peut pas résumer la thérapeutique
d’une addiction. Dans lamesure où le craving est bien le
marqueur pronostic de l’addiction et donc de la rechute,
son repéraged’abord, puis son suivi et sonmanagement
vont être lecœurde la thérapeutique
(5)
. Il nes’agitplusde
demanderà l’usagerdes’absteniret leconfronterà l’échec,
maisd’intervenirenamontde l’usage, sur lecraving.L’usage
semodifiera en conséquence, et l’éventuelle abstinence
sera la résultantedu soin, pas sacondition. Il s’agit làd’un
changement révolutionnaire.
Pour repérer le craving, il faut d’abord apporter à l’usager
lesmots pour le dire. C’est essentiel et c’est le rôle de la
psychoéducation (ouéducation thérapeutique) spécifiqueà
l’addiction.Pour lespsychothérapies, il ya longtemps, cette
cibledu craving avait étémise en avant par certains clini-
ciens.Celase faitpar l’identificationde facteurs individuels
déclenchant ducraving (cuesou indices) afinde leséviter
et d’élaborer des stratégies pour faire face à ces indices.
Encasdecraving trop intense,desstratégiesd’anticipation
sont élaboréespouréviter l’usage involontaireet la rechute.
Celapeut se fairepar simple techniquededistractionde
l’attention, la recherchedesoutienextérieur,oupardes inter-
ventionsplusélaboréesde typecognitives
(9)
.
Le fait que l’expression centralede l’addiction (le craving)
soitpsychologiqueacontribuéàdesmalentendussur le rôle
thérapeutiquequepourraient avoir des agents pharmaco-
logiques. De ce fait ils ont été sous-utilisés et mal utilisés.
Pourtant chacunaccepteassez facilementque l’expérience
psychologique qu’est la douleur puisse en légitimité être
managéepar des agents pharmacologiques agissant sur
la douleur (antalgiques), tout en sachant que la douleur
peut aussi être atténuée par des actions psychologiques
cognitiveset attentionnelles, ainsi quepardesactionsphy-
siquesetmotrices. Il enest demêmeenaddictologieavec
lanotiondemédicament anticravingouaddictolityque
(10)
.
Une partie du malentendu vient du fait que beaucoup
d’agents pharmacologiques qui agissent sur le craving
peuvent aussi agir sur lesmanifestations du syndromede
sevragesuivant ledosageet l’informationdonnéeaupatient.
Uneautresourcedeconfusiondans l’utilisationdesagents
pharmacologiques en addictologie tient à la stratégie de
réductiondes risquesoude remplacementde lasubstance
addictived’origine vers uneautremoinsdommageableou
moins toxique,mais toujoursaddictive (héroïnede rue
versus
héroïnemédicalementcontrôlée,oucigaretteparcombustion
versus
cigaretteélectronique). Toutescespossibilitésutiles
et légitimes nedoivent pas être confondues, comme c’est
souvent encore lecas (Tableau1).
Ondistinguedoncmaintenant lesmédicamentsqui agissent
sur lecravingversusceuxqui ciblentd’autresphénomènes.
Il est légitimedeparlerdemédicamentsaddictolytiquesou
anti-craving.À ladifférencedesmanifestationsdusevrage
qui sont limitéesdans le temps, lephénomèneducravingest
durable sur plusieurs années et son intensité variabled’un
moment à l’autre. Ainsi, unmédicament utilisé pour cette
phase thérapeutiquedevra l’êtrepourquelquesannées
(11)
.
R
éférences
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