La Lettre 50 - page 31

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outil. À chaque fois, on a combinéd’unemanière nouvelle
des éléments déjàprésents. Presque toutes les inventions
de lapréhistoiresemblent résulterde telles rencontres, nées
de l’associationpar l’espritdeceque l’expériencedissociait
jusque-là.
L’inventioncommeprocessusanalogique
Ces rencontres sont l’applicationd’une aptitude cognitive
bienconnuedescognitivistes : le raisonnementanalogique. Il
consisteàassocierdesélémentsqui,provenantdedomaines
tenus jusque-làpouréloignés, nesedonnentpasd’emblée
pourcomparables.Faceàunesituationnouvelleouàunpro-
blèmenouveau, l’hommevachercherdanssonexpérience
passéeunproblèmeouune situationanalogueauxquels il
avait su faire face. Cette stratégiemobilisedeux types de
représentationsmentales :d’unepart cellesstockéesdans
lamémoire à long terme, d’autrepart des représentations
« transitoires», c’est-à-direutiliséesaucoursdu traitement
d’une information, et qui sont stockéesdans lamémoirede
travail.Deuxoutilscognitifssont également indispensables
à samiseenœuvre : l’abstractionet lagénéralisation
(3)
.
Peut-ondéterminerdepuisquand l’hommeousesprédéces-
seursdisposentdecetteaptitude?Les toutpremiersoutils
taillés, vieuxdequelque2,6millionsd’années, voiredavan-
tage, sont de simples galets dont on adétachédes éclats
pour obtenir un tranchant qui servira lui-mêmeàdécouper.
S’il est vraisemblableque la réalisationde telsoutilsne fait
appel qu’à lamémoirede travail, leur invention résultedu
transfert d’ungestepréexistant mais effectué sur un autre
matériauenvued’uneautrefinalité, leconcassaged’unmaté-
riaucomestible (osounoix).Ces tout premiersoutils taillés
pourraientdonc témoignerd’uneaptitudeau raisonnement
analogique, sans que l’on sache lequel de ces premiers
homininés jouissait de cette aptitude (Australopithèques,
Paranthropes,
Homohabilis
?).
Si le raisonnementanalogiqueestbien impliquédans l’inven-
tion technique, on peut se demander s’il repose sur une
conformationcérébrale spécifique.
Les fouilles archéologiques nousmettent enprésencede
galets,deblocsetdeplaquettesque l’hommepréhistorique
(ou un de ses lointains ancêtres) a ramassés et utilisés à
diverses tâches domestiques ou techniques. Ils n’ont pas
été façonnésmaisontétésélectionnéssoigneusement selon
leur forme, leursdimensions et lesqualitésde leurmatière
première (dureté, rugosité…).L’étudedes tracesd’utilisation
visiblesà leursurfacese fait selonunedémarcheaujourd’hui
classiqueenarchéologie,qui consisteà lescompareravec
un référentiel expérimental, voireavecdes tracesobservées
sur des outils utilisés par des populations actuelles, selon
leprincipequ’uneactiondonnéesur lamatièreproduit une
trace identiquequel que soit son contexte social. L’étude
de lanaturedes traces (stries, poli, impact, enlèvement de
matière, etc.), cellede leuremplacement sur l’objet, la forme
et lesdimensionsdecelui-ci ainsique lanaturedesamatière
premièrepermettentdecomprendre la façondontcesobjets
ont fonctionné,àdéfautde retrouver leurdestinationprécise.
Il est ainsi possiblede reconstituer les gestes qui ont été
effectuésaveccesoutils
(1)
.
Un tableau d’ensemble des principaux types d’outils en
pierrenon tailléeayant existé sur toute laduréeduPaléoli-
thique jusquevers10000avantnotreèreapermisdedéceler
l’existencedevéritables inventions techniques.Certainesont
vu le jourgrâceàunsimple transfert opérant, touteschoses
égales par ailleurs, sur lamatière traitée, sur lematériau
façonné, ousur lesdimensionsde l’outil.Ainsi, la taillede la
pierreest apparue lorsqu’ungesteutilisé jusque-làpour le
concassagedes fruitsdursaétéappliquédansune intention
nouvelleàunematièreégalement nouvelle. Lebroyageest
apparu lorsqu’unmouvement jusque-là réservéà ladécoupe
a été imprimé à un outil jusque-làdestiné au concassage,
etc.
(1, 2)
.
Denouveauxoutilsoudenouveauxgestes techniquessont
ainsi nésnond’une invention
exnihilo
,maisdeglissements
tels que la fusiondedeux gestes déjà connus, l’utilisation
d’ungestedéjàconnusurunnouveaumatériau,ou l’utilisation
d’unoutildéjàconnuenungeste réservé jusque-lààunautre
Uneétudearchéologiqued’outilsduPaléolithiqueet de leur
évolutionaconduità laformulationd’unehypothèsepermettant
de rendre compte des processus cognitifs en jeudans leur
inventionet leur transformation.
L’émergencede l’aptitudeà l’invention
techniquechez l’homme
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par sophie A. de beaune
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