La Lettre 49 - page 7

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Vers 1860, des localisations cérébrales sont déduites de
l’auradouloureusedecertainescrisesd’épilepsieet confir-
méespar l’anatomopathologie.Plus tard, onarriveraau tha-
lamus, sans pour autant dénier les implications d’autres
régionsencéphaliques, sous-corticales,corticales, frontales
oupariétales. L’intégrationpar le cortex est indispensable
dans les espèces évoluées, cequi feradire au chirurgien,
RenéLeriche (1879-1955) que« ladouleur est toujours un
phénomènecérébral ;c’est toujourspar lesvoiesmédullaires
quepassent les impressionsqui seront ditesDouleur dans
lecerveau»
(12)
.
Reste lemystèrede la traductionde l’excitationenunesensa-
tion.Comment se traduit l’excitationenperception?Lanotion
de récepteursmorphiniquesetde transmissionsynaptique,
électriqueouchimiquen’arriveraqu’après1950.
Ladouleurpathologique
Parmi toutes les douleurs, les névralgies, par leur acuité,
interpellent forcément les médecins. On ne trouve pas
toujours une irritationde la terminaison nerveuse, et elles
peuvent paraître sanscause.
FrançoisMagendiemontraque lanévralgiepouvaitprovenir
de l’irritationdu troncdu nerf sensitif. Lapiqûred’un nerf
sensitif était douloureuse, demêmequecellede sa racine
postérieure. Il déconseillait les sections de nerfs qui pou-
vaient s’avérercontreproductivesdans l’avenir (ceci résulte
de ladésafférentation, notionqui seraavancéeplus tard, cf
infra). Ilmontraitégalementque lamorphineappliquéesur le
troncet leganglionde laV
e
paire (trijumeau)produisait une
analgésieunilatérale.S’inspirantde l’acupuncturechinoise,
il reliait une aiguilledeplatine à ungénérateur de courant
galvanique, et arrivait àsoulager lespatients.Dumoinspro-
visoirement.ÀceproposcitonsuneanecdotequeMagendie
asansdoute ignoréemaisdont il aurait certainement su tirer
desconclusions.AugusteBérard (1802-1846),chirurgiende
laPitié, enseignait lesconséquencesde lapiqûred’unnerf.
Ellepeut donner lieu, selon lui, longtempsaprès la réaction
douloureusepassagère initiale,àdesdouleursparoxystiques
tardives et durables.«Nous avons pu observer, écrit-il, un
exemple de névralgie occasionnée par la piqûre du nerf
frontal. À l’époqueoùnousétions internesdeshôpitauxde
Paris, notrechef deservice, physiologistecélèbre, désirait
connaître le résultatde lagalvanisationdunerf ophtalmique.
Nous nous empressâmes denous offrir pour sujet d’expé-
rience.Uneaiguille fut enfoncéedans labrancheexternedu
nerf ophtalmiquedeWillis, àsasortiedu trousus-orbitaire,
et uncourant électrique fut dirigéà travers lesdivisionsde
ce nerf. Nous ressentîmes à l’instant même des douleurs
extrêmement vivesdans le frontetdans lesommetducrâne.
Ces douleurs cessèrent dès que l’aiguille fut retirée ; mais
quelquesmois après, nous avons ressenti une première
attaquedenévralgie frontaledans lesdivisionsdunerf qui
avaitétépiqué.Ladouleuravait le type intermittentquotidien
[…]Depuiscetteépoque,nousavonséprouvé, toujoursdans
lesdivisionsdumêmenerf, àplusieursannéesd’intervalle,
d’autresattaquesdontquelques-unesontprésentéunevio-
lence excessive, une longue
durée, et se sont étendues
auxdeuxautresbranchesdu
nerf ophtalmique,c’est-à-dire
dans les filetsdunasal et du
lacrymal.
(14)
».
Longet, qui fut décidément
ungrandneurophysiologiste,
étudia systématiquement les
différentes structures ner-
veusespériphériqueset cen-
trales. Auniveaudu système
nerveux périphérique, il put
constaterque les racinespos-
térieuresspinalesétaient sen-
sibles,cequi étaitdéjàconnu,
maisaussi legangliondunerf
trijumeau, ceuxdeshuitième
et dixièmepaires, tous assi-
milables à des racines pos-
térieures spinales. Auniveau
central, les zones sensibles
étaient les faisceaux posté-
rieursde lamoelle, lesparties
postérieuresdubulbeetde laprotubéranceet les tubercules
quadrijumeaux.L’irritationmécanique,chimiqueouélectrique
deces structuresentraînait desdouleursatrocesou vives,
dont témoignaient lescrisou l’agitationde l’animal.Maisau-
delà, lecerveauet lecervelet étaient totalement insensibles,
cequi n’excluaitpasquedesmaladiespussent yprovoquer
de ladouleur.
Il n’yadoncpasque lesnerfsqui soient encausedansces
douleurspathologiques :certainespeuvent venirdescentres
eux-mêmes. Ellesseraient liéesà l’irritationouà lamaladie
de cellules nerveuses qui entretiennent en permanence
des réponsesde typedouloureux,d’où l’idéed’enleverces
zonespathogènes. L’ablationd’un territoirepariétal reconnu
comme caused’unedouleur localisée oudiffuse se solda
par un échec. Àdéfaut, et dans lebut de couper les voies
de transmission vers les centres en sectionnant des fibres
connectant lecortex frontal àdeszonessous-corticales, la
lobotomie frontale fut largement pratiquéedans lesannées
cinquante et soixante, auprix de regrettables dégâts col-
latéraux.
Physiopathologiede ladouleur
Ladouleur a saphysiopathologie ; les anciens chirurgiens
enétaient conscients.Dupuytrensavaitque ladouleurpeut
tuer,demêmeque lapeurde ladouleur, et il se reprochaun
jourd’avoirnégligéunpréceptequ’il avaitpourtantprofessé :
nepoint opérer lorsque lemalade est sous l’influencede
lapeur. Le retentissement circulatoirede ladouleur a été
démontréparMagendiedansdesexpériences, accomplies
souvent avec son assistant ClaudeBernard (1813-1878),
et qui vont êtredéveloppées et explicitées par cedernier.
Bernardmontre d’abordqu’il y a dans ces phénomènes
Figure2
-
RenéLeriche (1879-
1955) estunchirurgienqui
s’intéresseà lapriseenchargede
ladouleur.Conscientdesdouleurs
enduréespar les soldatsmutilés
de laGrandeGuerre, il tente
d’instaurerunechirurgiemoins
traumatisante,mais sonœuvre
demeurecontroversée
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