La Lettre 49 - page 4

La lettre
Histoirede ladouleur
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pAR Marie-Thérèse cousin et jean-gael barbara
Lacompréhensiondumécanismede ladouleuréchappaà la
médecinependantdes siècles.Cen’estqu’avec l’affinementde
l’anatomieet surtoutde l’histologieetde l’électrophysiologie
qu’onaétéenmesurede suivre lecheminementde l’informa-
tionnociceptivede lapériphérievers lescentres.
istoiredesNeurosciences
Leshypothèsesausiècleclassique :Descartes,
Boerhaaveet sessuiveurs
Selon lephilosophe, RenéDescartes (1596-1650), un
vent
trèssubtil
–qu’onnomme les
espritsanimaux
–circulepar les
nerfs,ducœur vers lecerveau, et au retour,ducerveauvers
lesmuscles.Étendant cettenotionqui intéressait lesystème
moteurausystèmesensitif, il écrivait : «Si lespetitsfiletsqui
composent lamoelledecesnerfssont tirésavec tantde force
qu’ilsse rompent, […] lemouvementqu’ilscauserontdans le
cerveaudonneraoccasionà l’âme […]d’avoir lesentimentde
douleur
(1)
».Cesentimentdedouleurappartient aumême
systèmeque lesautressensations,mais il aquelquechose
despécifique :«Lessons, lesodeurs, lessaveurs, lachaleur,
ladouleur, la faim, lasoif etgénéralement tous lesobjets tant
de nos autres sens externes quede nos appétits internes
suscitentaussiquelquemouvementdansnosnerfsquipasse
par leurmoyen jusquesaucerveau
(2)
».PourDescartes,ce
sentiment dedouleur, cetteperception, est différentede la
tristessequi accompagne souvent unedouleur et, comme
le souligne l’historiennedes sciencesRoselyneRey dans
son
Histoirede ladouleur
, laquestionde la relation entre
douleur et psychismeest dèscemoment posée.
La théoriedeDescartes est reprisepar unprofesseur de
médecinedeLeyde,HermanBoerhaave (1668-1738),dans
ses
Aphorismes deChirurgie
, que son élève, Gerhard van
Swieten (1700-1772), publiera en français, en 1753, agré-
mentés de commentaires. Lorsqu’une fibre nerveuse née
ducerveau, est tellementdistendue, oudisposéed’une telle
manière, qu’elle fasse craindre sadissolution, il en résulte
une idéededouleur, c’est-à-direuneperception.
SoncommentateurVanSwietenpense, sans toutefois l’expri-
mer nettement, que lacommunicationse fait dans lesdeux
sens, comme ledisait Descartes, ducentreà lapériphérie
mais aussi de lapériphérieaucentre. L’idéede tensiondu
nerf est reprise. Ladouleur vaprovoquer, dit vanSwieten,
«uncertainchangementmécaniqueauxhouppesnerveuses
[…] Le nerf est dans une telle situation qu’il est prêt à se
rompre […]Que lechangementqui arriveàunnerf dérange
quelque chose dans le cerveau et qu’à l’occasion de ce
changement naît l’idéededouleur.
Lespetitsnerfssontplussensiblescar ilsn’ontpasdegaine ;
lesgrosnerfsn’ontdenerveuxqu’unemoindrepartiede leur
volumeet leur tiraillement neparvientpas jusqu’auxfibrilles
et ne se fait qu’aux gaines qui les enveloppent. Il faut qu’il
yait continuitéentre lenerf et lecerveau. Si lecerveauest
détruit ouapoplectiquecommedans l’épilepsieou l’ivresse,
il n’yaplus l’idéededouleur. Toutedouleur suppose la vie,
c’estpourquoi onapaise ladouleurensaignantàdéfaillance.
n°49
Figure1
- :HermanBoerhaave (1668-1738)et sonélève,Gerhard
vanSwieten (1700-1772).
*Cetexteestuneversionremaniéed’unchapitredel’ouvragedeMarie-
ThérèseCousin, L’anesthésie-réanimation enFrancedes origines
à 1965.Tome 1,Anesthésie, 2005.
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