La lettre
Histoirede laneurosécrétion
| PAR ANDRÉ CALAS ET ANDREE TIXIER -VIDAL
istoiredesNeurosciences
La fonction sécrétoire, libération, souvent dépendantedu
calcium, d’unproduit dans l’espaceextracellulaire, est une
propriété trèsgénéraledescellulesvivantes, d’abord iden-
tifiée dans les glandes exocrines, puis dans les cellules
glandulairesendocrines, capablesde libérer leur sécrétion
dans lemilieu sanguin. Les neurones ont été longtemps
considérés commedépourvus de cettepropriété. De fait,
la conception « tout-électrique» du fonctionnement ner-
veux, basée sur la propagation câblée et la transmission
despotentielsd’actionn’apasétéessentiellement remiseen
causepar ladécouvertede laneurotransmissionchimique
(1)
. Pour beaucoupeneffet, et pendant plusde trenteans,
l’acétylcholine était lemédiateur universel des synapses.
De fait, sesdeux récepteurspouvaient rendrecomptedes
phénomènescentrauxd’excitationet d’inhibition, à l’image
desdeuxeffetsobservésenpériphériesur lemusclesque-
lettiqueet lecœur. Lecâblage lui-mêmeétait respectépar
lemédiateurqui nediffusaitpashorsde lasynapse (ni hors
de laplaquemotrice).Onconçoit doncqu’il ait étédifficile
pour de nombreux neurophysiologistes d’admettreque le
neurone, sacraliséparsespropriétésélectriquessingulières,
pouvait êtreaussi unecellulesécrétricedemoléculesana-
logues àcelles trouvéesdansdes cellulesglandulaires, et
notamment d’hormones.
L’inventionde laneurosécrétion
De fait, laneurosécrétion futessentiellementunedécouverte
histologiquedueà l’utilisationd’uneheureusecombinaison
decolorants. Elle illustrait l’aphorismede FloydBloomqui,
parodiant l’exercicephonétiquede«
My fairLady*
»,procla-
mait : «
Thegains inbrainaremainly in thestain
».Quandon
connaît le caractère capricieux, imprécis et généralement
empiriquedesfixationsetdescolorationshistologiques, on
n’estpassurprisde ladiversitédes interprétationsphysiolo-
giquesqu’ellesontpususciter.C’estainsique le lobenerveux
de l’hypophysea toutd’abordétépourcertainshistologistes
une« ruinenerveuse».RémyCollinàNancyydistinguaitde
« lacolloïde»
1
–qu’il interprétaitcommeunproduitde la lyse
des cellules glandulaires de l’hypophyse, secrétédans le
tuberou infundibulum.Curieusement, il décrivait cecolloïde
remontant le longdesfibresnerveuses jusqu’auxneurones
hypothalamiquesoù il était absorbé.Avecceconceptditde
neurocrinie
(2)
, le schémades neurones neurosécrétoires
était mis en place, mais à l’envers... AprèsCarl Speidel,
décrivant en 1919des cellules endocrines dans lamoelle
épinière de serpent
(3)
, ce fut lemérite d’Ernst et Berta
Scharrer d’établir, l’un chez les vertébrés, notamment les
poissons, l’autre chez les invertébrés, Néréis, Aplysiepuis
les insectes, la véritablegenèseduneurosécrétat, synthé-
tisé et non résorbé dans les corps cellulaires neuronaux.
Ceconceptdeneuronesécréteur futproposéparE.Scharrer
en 1928
(4)
à la suited’observations purement tinctoriales
(Fig. 1). Il établissaitdoncunpont avec lescellulesglandu-
lairesendocrines,maisdépouillait aussi leneurone, certes
dans des systèmes qui pouvaient être considérés comme
desexceptions, de sonaura liéeauxpotentielsd’actionen
lui conférant une propriété plus banale et plus générale
dans lagenèseet la transmissionde l’information.C’estainsi
que leconcept deneurosécrétion fut ignoré, oucombattu,
ycomprisenFrance, et que lesScharrer, émigrés (comme
Loewi) aux États-Unis en 1937, en raisondes lois raciales
du III
e
Reich furentpratiquement seulssur lesujet jusqu’aux
années 1940, accumulant les observations histologiques
avantdedémontrerenmicroscopieélectronique laprésence
degranulesneurosécrétoiresdans tous lescompartiments
desneuronessécrétoiresde l’hypothalamus (oudes
corpora
allata
), ainsi que l’organisationde typeglandulairede leurs
péricaryons
(5)
(Fig. 2).
n°52
1
RémyCollin.Leshormones.Paris,AlbinMichel, 1938.
*Therain inSpain staysmainly in theplain.
Figure1
-Miseenévidenced’unmatériel sécrétoire intensément
coloréparun trichromeà l’hématoxylinedansdesneurones
préoptiquesdupoissonrouge (flèches, clichéE. Scharrer).
