Portrait de Martin Giurfa, par Aurore Avarguès-Weber
Actuel directeur de l’Institut de Biologie Paris-Seine (IBPS), Martin Giurfa est un professeur franco-argentin à Sorbonne université, internationalement reconnu pour ses travaux en neuro-éthologie de l’abeille. Titulaire de la médaille d’argent du CNRS, membre sénior de l’Institut Universitaire de France et membre de l’Académie Allemande de Sciences et de l’Académie Royale de Sciences et des Arts de Belgique, pour ne citer que quelques-unes de ses distinctions, il dirige actuellement une équipe travaillant à comprendre les mécanismes neurobiologiques de la cognition des abeilles, soutenue par un financement ERC Advanced. En 2023, il est invité par le Dalaï-lama, à une conférence sur la conscience des animaux, démonstration particulièrement remarquée de sa position de leader international en cognition des insectes, issue d’un parcours exemplaire.
Martin a fait ses études en neurosciences à Buenos Aires, en Argentine, à la fin des années 80, alors que le pays est sous le joug d’une dictature militaire. Sa force de caractère, qui lui permettra par la suite de construire une carrière scientifique exceptionnelle, est déjà visible dans son choix, particulièrement risqué, de mener des actions clandestines contre le régime à la tête d’un réseau d’étudiants. Il obtient, après la chute du régime, son doctorat en 1990 à Buenos Aires, sous la direction de Josué Núñez, sur le comportement de butinage des abeilles. La qualité de son travail a alors été remarquée par Randolf Menzel, professeur allemand dominant la recherche mondiale en neurobiologie de l’abeille. Martin est ainsi resté une dizaine d’années à Berlin, en tant que postdoc puis professeur associé, où il a pu développer une expertise de pointe et son réseau sur la cognition des abeilles dans ce pays, alors leader en neurobiologie de l’insecte. C’est durant ces années qu’il a l’audace et la créativité d’introduire une dimension cognitive issue de la psychologie expérimentale dans l’étude de l’apprentissage et la reconnaissance des fleurs par les abeilles. Il est ainsi l’un des pionniers à l’origine d’une véritable révolution scientifique ayant permis d’attribuer des capacités cognitives sophistiquées inattendues pour un cerveau d’insecte, telles que la faculté de catégorisation ou d’utilisation de concepts.
Martin est venu s’installer en France, à Toulouse, en 2001 où il a créé le Centre de Recherche sur la Cognition Animale, qu’il a dirigé jusqu’en 2017. Il a contribué à en faire un laboratoire-clé en éthologie et neurosciences cognitives, à l’échelle nationale et internationale, grâce à une grande ambition scientifique et à une volonté de mener des recherches originales, mais d’une grande rigueur, qu’il a su insuffler au sein du CRCA et qui continuent d’inspirer les recherches actuelles. Au cours de ces années, il dirige de nombreux travaux sur les fonctions de perception, d’apprentissage et de mémoire de l’abeille, en établissant des protocoles-clés, utilisés par la suite dans de nombreux laboratoires, pour l’étude des différentes formes d’apprentissage et de leurs bases neurobiologiques.
Depuis 2023, Martin a pris la direction du grand Institut Biologie Paris-Seine, démontrant de nouveau sa capacité à relever les défis et son intérêt pour le management de la recherche.
En plus de ses fonctions de direction, Martin a en effet été aussi, entre-autres, président de la section Comportement, Cerveau, Cognition du CNRS et s’investit fortement dans la transmission du savoir auprès de tous publics ainsi que dans le soutien des jeunes chercheurs et chercheuses. Il a ainsi dirigé une trentaine de thèses, dont la mienne en 2010, qui a lancé ma carrière, non seulement en me proposant une thématique sur la cognition visuelle des abeilles qui continue de nourrir mes recherches actuelles, mais aussi en me stimulant par une vivacité d’esprit et une créativité exceptionnelle particulièrement fructueuses car complétées par une grande exigence et des connaissances scientifiques extrêmement solides. Doté d’une mémoire exceptionnelle, que j’avoue lui envier particulièrement, Martin semble en effet connaître l’ensemble des recherches en cours et passées dans notre discipline, aidé par un réseau particulièrement étoffé qu’il a su construire au fil des années, établissant sa réputation grâce à la qualité et l’originalité de ses travaux mais aussi la qualité de ses échanges et de l’attention dont il fait preuve envers les recherches des collègues.
Aurore Avarguès-Weber (CRCA, Toulouse)
Martin Giurfa donnera la première conférence Angélique Arvanitaki lors du colloque NeuroFrance 2025, le 14 mai à 8h30 au Corum de Montpellier, sur le thème “Cognitive neuroscience in miniature brains – Dissecting higher-order learning in honey bees”.
Science Matters! Statement from FENS and allies
Science drives discoveries that expand knowledge and understanding of ourselves,
the world, and future possibilities, based on rigorous, evidence-based research.
Together with many others, FENS – the Federation of European Neuroscience
Societies – has witnessed threats to the scientific endeavour in the United States
with recent funding cuts and freezes, restrictive policies, stop-work enforcements,
and the spread of misinformation. These challenges have global repercussions,
undermining international scientific collaboration, a cornerstone of not only
scientific research itself, but also of global scientific knowledge exchange.
A reduction in public funding will slow down and jeopardise scientific progress
and medical breakthroughs vital for societal development, increase disease
burden, and impact communities facing environmental and health crises. Any
restrictions on funding or collaboration also risk silencing the voices of those
individuals affected by neurological and psychiatric diseases, limiting essential
advancements that would improve the lives of millions of people worldwide.
Furthermore, it will weaken global innovation and stability, which is essential for
building stronger, more resilient economies.
Threats to academic freedom, barriers to open scientific inquiry and responsible
animal research, and the rapid dissemination of misinformation may also further
weaken public trust in science at a time when evidence-based solutions and
scientific knowledge are more important than ever. Without sustained investment
and support, the pace of discovery will decline, having profoundly damaging long-
term consequences that may take years or even decades to restore.
Discriminatory policies targeting diversity, equity and inclusion as well as
marginalised and underrepresented groups will also threaten the scientific
community. It is a moral obligation to stand up for our colleagues to support their
continued inclusion in scientific research.
FENS and its allies express our full support to our scientific friends in the U.S. who
fight against these imposed threats and call on communities around the world to
stand up together in solidarity because science matters! With a united voice, we
can further strengthen and protect the scientific enterprise to help ensure the
health and well-being of all. Science knows no borders, and when we invest in
science together, we build a more resilient, inclusive, and sustainable future for
everyone everywhere.
Read the text on FENS website.
Une nouvelle voie pour sécuriser la prise en charge de la douleur par les opioïdes

Si les opioïdes sont le traitement le plus efficace dans la prise en charge de la douleur, et en particulier de la douleur chronique, leur utilisation prolongée présente de nombreux inconvénients parmi lesquels : la tolérance, qui nécessite d’augmenter les doses pour maintenir l’effet analgésique, et l’hyperalgésie, une sensibilité accrue à la douleur induite par les opioïdes. Deux phénomènes sur lesquels se sont penchés des chercheurs de l’Université de Montpellier, de l’Inserm et du CNRS en collaboration avec la société Biodol Therapeutics, pour tenter de trouver des solutions. Leur étude publiée le 7 novembre 2024 dans Nature Communications ouvre des pistes prometteuses pour supprimer la tolérance et l’hyperalgésie tout en augmentant l’effet analgésique des opioïdes.
Dans la lutte contre la douleur, notamment chronique, les meilleures armes de l’arsenal thérapeutique sont les opioïdes, qui font preuve d’une efficacité analgésique inégalée. Problème : une utilisation prolongée des opioïdes peut entraîner une tolérance obligeant le patient à augmenter la dose pour maintenir l’effet analgésique, avec de lourdes conséquences en termes d’effets secondaires et de risques d’addiction.
Par ailleurs, les opioïdes peuvent induire de façon paradoxale une sensibilité anormale à la douleur, appelée « hyperalgésie ».
Si les mécanismes à l’origine de ces phénomènes restent imparfaitement connus, on sait que ces effets contradictoires sont notamment médiés par le récepteur mu-opioïde périphérique MOR. Une voie importante mais qui n’est pas la seule impliquée. Dans cette étude, Cyril Rivat, chercheur à l’Institut des Neurosciences de Montpellier (INM), et ses collaborateurs de l’Université de Montpellier, de I’Inserm, du CNRS et de la société Biodol Therapeutics, ont mis en évidence une co-expression du récepteur MOR et du récepteur tyrosine kinase FLT3, qui participerait au développement de la tolérance et de l’hyperalgésie paradoxale liées aux opioïdes.
Restaurer l’efficacité de la morphine
Pour perturber l’effet de ce récepteur FLT3 nouvellement identifié, les chercheurs ont ici testé les effets d’une molécule particulière, un inhibiteur appelé BDT001. Administré chez le rongeur en même temps que la morphine, celui-ci a permis non seulement de prévenir l’apparition des phénomènes de tolérance et d’hyperalgésie mais aussi d’augmenter de façon importante le potentiel analgésique de la morphine sans aggraver les autres effets indésirables induits par les opioïdes.
Le traitement par l’inhibiteur BDT001 a aussi montré sa capacité à supprimer les phénomènes de tolérance et d’hyperalgésie déjà installés chez des rongeurs préalablement exposés aux opioïdes, permettant ainsi de restaurer l’efficacité de la morphine.
« Nos résultats suggèrent que l’association de la morphine et des inhibiteurs de FLT3 pourrait devenir une voie prometteuse pour la gestion de la douleur chronique afin d’exploiter en toute sécurité la puissance des opioïdes, sans risque d’augmenter les doses voire de les diminuer afin de réduire l’ensemble des effets secondaires », souligne Cyril Rivat.
Une avancée majeure alors même que ces médicaments sont au cœur d’un énorme enjeu sanitaire, notamment aux États-Unis où la « crise des opioïdes » a provoqué le décès de 800 000 personnes en 25 ans.
Référence
Jouvenel, A., Tassou, A., Thouaye, M., Ruel, J., Antri, M., Leyris, J. P. … & Rivat, C.
FLT3 signaling inhibition abrogates opioid tolerance and hyperalgesia while preserving analgesia. Nat Commun 15, 9633 (2024). https://doi-org.insb.bib.cnrs.fr/10.1038/s41467-024-54054-y
En savoir plus : https://www.umontpellier.fr/articles/a-lum-la-science-s04-ep09-securiser-le-traitement-de-la-douleur
© Cyril Rivat, Institut Neurosciences de Montpellier de Neurosciences, INSERM