Nouvelles pistes pour comprendre la résilience au trauma

Les attentats de Paris et Saint-Denis, le 13 novembre 2015, ont laissé des marques durables, non seulement sur les survivants et leurs proches, mais aussi sur la société française dans son ensemble. Dans le cadre du programme transdisciplinaire 13-Novembre, une étude d’imagerie cérébrale en IRM intitulée Remember et menée à Caen, s’attèle à une question majeure qui intrigue les neuroscientifiques depuis des années : pourquoi certaines personnes ayant vécu un traumatisme souffrent-elles de stress post-traumatique, alors que d’autres, résilientes, ne développent jamais ce trouble ?

Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) peut se développer chez certains individus ayant été confrontés à des événements traumatisants. Parmi les symptômes les plus caractéristiques, l’intrusion fréquente du souvenir des images, des odeurs et des sensations associées au traumatisme vécu, bouleversent la vie quotidienne et induisent une grande détresse. L’étude menée par les chercheurs Caenais, publiée dans la revue Science le 14 février 2020, permet de mieux comprendre l’origine des souvenirs intrusifs.

D’après les modèles traditionnels du TSPT, la persistance des souvenirs intrusifs douloureux s’expliquerait par un dysfonctionnement de la mémoire, et notamment de l’hippocampe, un peu à la manière d’un vinyle rayé rejouant en boucle les mêmes fragments de nos souvenirs. Par ailleurs, les tentatives par les patients de suppression et de contrôle de leurs souvenirs traumatiques ont longtemps été considérées comme un mécanisme inefficace et une stratégie négative, renforçant les intrusions et aggravant la situation des personnes souffrant de TSPT.

L’étude publiée dans Science remet en cause certaines de ces idées, et émet l’hypothèse que la résurgence intempestive des images et pensées intrusives serait liée à un dysfonctionnement des réseaux cérébraux impliqués dans le contrôle de la mémoire (pour reprendre l’image précédente, le bras de la platine vinyle contrôlant la lecture des souvenirs).

Afin de modéliser la résurgence des souvenirs intrusifs, sans les exposer à nouveau aux images choquantes des attentats, les chercheurs ont proposé un protocole de recherche s’appuyant sur la méthode Think/No-Think à 120 survivants des attaques de Paris, dont près de la moitié souffrait de TSPT. 73 personnes n’ayant pas été exposées aux attentats ont également pris part à l’étude. Cette méthode vise à créer des associations entre un mot indice et un objet du quotidien n’ayant rien à voir l’un avec l’autre (par exemple le mot « chaise » avec l’image d’un ballon), afin de reproduire la présence d’une intrusion lors de la confrontation avec le mot indice. Dans un second temps, la capacité des participants à chasser et supprimer l’image intrusive est mesurée par le biais de la connectivité cérébrale entre les régions de contrôle, situées dans le cortex préfrontal et les régions des souvenirs, telles que l’hippocampe.

Les résultats montrent que les participants souffrant de TSPT présentent une défaillance des mécanismes qui permettent de supprimer et de réguler l’activité des régions de la mémoire lors d’une intrusion (notamment l’activité de l’hippocampe). A l’inverse, cette capacité est largement préservée, voir supérieure, chez personnes résilientes. Ces résultats suggèrent que le mécanisme de suppression des souvenirs n’est pas intrinsèquement mauvais et à l’origine des intrusions comme on le croyait. En revanche, son dysfonctionnement l’est, ce qui conduit à sa surutilisation chez les TSPT.

Ces résultats soulignent que la persistance du souvenir traumatique n’est vraisemblablement pas uniquement liée à un dysfonctionnement de la mémoire, mais également à un dysfonctionnement de son contrôle. Reste à déterminer si ces difficultés de contrôle se sont instaurées après le traumatisme, ou étaient présentes avant, rendant l’individu plus vulnérable.

Ces résultats permettent également d’imaginer de nouvelles pistes de traitement. À l’heure actuelle, la plupart des thérapies existantes impliquent de se confronter au traumatisme, ce qui n’est pas toujours évident pour les patients. Proposer des interventions déconnectées des événements traumatiques, stimulant les mécanismes de contrôle identifiés dans cette étude, pourrait être un complément utile pour entraîner les patients à mettre en place des mécanismes de suppression plus efficaces.

 

Référence :

Mary A., Dayan J., Giovani Leone, Charlotte Postel, Florence Fraisse, Carine Malle, Thomas Vallée, Carine Klein-Peschanski, Fausto Viader, Vincent de la Sayette, Denis Peschanski, Francis Eustache, Pierre Gagnepain, « Resilience after trauma : the role of memory suppression ». Science 367, 756, 2020, DOI: 10.1126/science.aay8477

 

Contact chercheur :

Pierre Gagnepain

INSERM-EPHE-UNICAEN U1077, “Neuropsychologie et Imagerie de la Mémoire Humaine” (NIMH),

GIP Cyceron, Caen

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