Un lien causal entre une diminution des taux d’acides gras polyinsaturés et des déficits motivationnels

Les pathologies psychiatriques, telles que la schizophrénie, les troubles bipolaires ou la dépression majeure sont classiquement considérées comme différentes d’un point de vue clinique du fait des catégories diagnostiques distinctes qui y sont associées. Cependant, ces pathologies présentent des symptômes communs et de plus en plus de données suggèrent l’existence de relations entre ces pathologies, qu’elles soient d’ordre génétique (polymorphismes génétiques communs) ou environnemental. Dans ce contexte, des données cliniques révèlent que ces pathologies s’accompagnent de modifications du métabolisme lipidique et en particulier d’une diminution « corps entier » des taux d’acide gras polyinsaturé (AGPI) n-3. Les AGPIs sont parmi les constituants majoritaires des membranes cellulaires au sein desquelles ils vont moduler les propriétés de la membrane et des protéines qui y sont associées et agir comme messagers secondaires.

 

Dans une étude publiée dans le journal Cell Metabolism  le 5 mars 2020, des chercheurs de l’INRAE et Université de Bordeaux montrent qu’une diminution du statut en AGPI n-3, en influant directement sur le système cérébral de la récompense, induit des déficits motivationnels, une dimension symptomatique commune à plusieurs pathologies psychiatriques. Plus précisément, ils montrent que la déficience développementale en AGPI n-3 conduit, à l’âge adulte, à une augmentation de l’inhibition dite « latérale » des neurones épineux moyens (medium spiny neurons ou MSN) qui expriment le récepteur à la dopamine D2 (D2R) sur les MSN qui expriment le récepteur D1 (D1R) dans le noyau accumbens. En utilisant un model transgénique unique, les auteurs ont pu établir un lien de causalité entre le statut en AGPI n-3 et les altérations neurobiologiques et comportementales. En effet, ils montrent que normaliser les taux d’AGPI pendant le développement périnatal, sélectivement dans les neurones qui expriment le D2R – mais pas ceux qui expriment le D1R -, est suffisant pour prévenir les altérations neurobiologiques et comportementales.

 

Ces résultats constituent la première démonstration de l’existence d’un lien causal entre des modifications de taux d’AGPI dans une sous-population neuronale spécifique et une altération comportementale. Ils mettent en évidence une vulnérabilité particulière des D2R-MSN – une population neuronale connue pour être dysfonctionnelle dans plusieurs pathologies – au statut en AGPI. Par ailleurs, cette étude suggère que la diminution des taux d’AGPI n-3 décrite dans plusieurs pathologies psychiatriques pourrait directement participer à l’étiologie de certains symptômes tels que l’avolition ou l’apathie. L’origine de cette réduction des AGPI n-3 chez le patient reste inconnue mais pourrait résulter de polymorphismes de certaines enzymes impliquées dans le métabolisme lipidique. Le statut en AGPI pourrait ainsi constituer un biomarqueur prédictif et spécifique de certains symptômes et endophénotypes psychiatriques.

 

Référence :

 

Causal Link between n-3 Polyunsaturated Fatty Acid Deficiency and Motivation Deficits

Cell metabolism, 2020, https://doi.org/10.1016/j.cmet.2020.02.012

Fabien Ducrocq,,* Roman Walle, Andrea Contini, Asma Oummadi, Baptiste Caraballo, Suzanne van der Veldt, Marie-Lou Boyer, Frank Aby, Tarson Tolentino-Cortez, Jean-Christophe Helbling, Lucy Martine, Stéphane Grégoire, Stéphanie Cabaret, Sylvie Vancassel, Sophie Layé, Jing Xuan Kang, Xavier Fioramonti, Olivier Berdeaux, Gabriel Barreda-Gomez, Elodie Masson, Guillaume Ferreira, David W.L. Ma, Clementine Bosch-Bouju, Veronique De Smedt-Peyrusse, and Pierre Trifilieff

 

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