Un engramme ocytocinergique pour apprendre et contrôler sa peur

Nos souvenirs définissent qui nous sommes, qui nous serons. L’idée d’une représentation physique de la mémoire remonte à il y a plus de 2000 ans. En 350 av. J.-C., Aristote théorisait que « le processus de stimulation sensorielle marque une sorte d’impression du percept, juste comme un sceau laisse son empreinte dans une cire chaude ». Cette idée a progressivement menée vers l’hypothèse selon laquelle des ensembles de cellules, organisés et sélectivement activés, forment les blocs de base de la trace mnésique, l’engramme. Cette hypothèse constitue aujourd’hui un champ majeur d’investigations, guidant l’étude des mécanismes cellulaires et moléculaires sous-jacents à l’encodage et la préservation de la mémoire. Le cerveau est l’organe le plus complexe qui soit, ayant évolué sur des centaines de millions d’années à partir de simples réseaux de neurones responsables de comportements simples, comme orchestrer la survie en évitant l’exposition au danger. La mémoire jouant un rôle clef dans la survie de l’individu, les constellations de cellules, interagissant entre elles pour former des engrammes, pourraient être évolutivement très anciennes. Pourtant, à ce jour, le dogme prédominant veut que la mémoire soit encodée dans l’hippocampe pour être ensuite stockée dans le cortex. Cette vision limitée ne prend que peu en considération les autres structures cérébrales, particulièrement celles évolutivement plus anciennes pouvant effectuer une réorganisation dynamique des circuits anatomiques et fonctionnels soutenant la formation et le stockage de la mémoire.

 

Lors d’une récente étude, dont les résultats sont publiés dans la revue Neuron (Hasan et al., 2019), l’équipe internationale animée et coordonnée par les Drs. Alexandre Charlet (France) et Valery Grinevich (Allemagne) démontre que des engrammes sont susceptibles de se former dans des structures comme l’hypothalamus. Pour ce faire, ils se sont intéressés aux neurones produisant l’ocytocine, un neuropeptide fortement impliqué dans la régulation des émotions, incluant la douleur et la peur. A l’aide d’une nouvelle méthode de ciblage génétique, permettant de cibler spécifiquement les neurones ocytocinergiques activés lors de l’une réaction de peur, les auteurs ont découvert la formation et l’intégration d’engrammes hypothalamiques dont la manipulation altère drastiquement l’expression et le souvenir d’une peur. En effet, l’activation optogénétique de ces cellules gomme entièrement l’expression de la peur; tandis que l’inhibition chémogénétique de cet engramme bloque son extinction, induisant sa persistance. Par ailleurs, ces neurones font preuve d’une étonnante plasticité, transitant d’une transmission lente médiée par le neuropeptide ocytocine vers une communication beaucoup plus rapide, via la sécrétion de glutamate. Cette découverte majeure marque un changement de paradigme, appelant à explorer plus avant l’existence et l’intégration des engrammes dans les différentes régions cérébrales. Comprendre les circuits anatomiques et fonctionnels sous-jacents d’une émotion telle que la peur, pourrait permettre l’émergence de nouvelles stratégies thérapeutiques, notamment quand la peur devient pathologique, comme dans le cas des troubles de stress post-traumatiques.

 

Référence : Hasan MT*, Althammer F*, Silva da Gouveia M*, Goyon S*, Eliava M, Lefevre A, Kerspern D, Schimmer J, Raftogianni A, Wahis J, Knobloch-Bollmann HS, Tang Y, Liu X, Jain A, Chavant V, Goumon Y, Weislogel J-M, Hurlemann R, Herpertz SC, Darbon P, Dogbevia GK, Bertocchi I, Larkum ME, Sprengel R, Bading H, Charlet A#, Grinevich V#. (2019). Fear Memory Engram and its Plasticity in the Hypothalamic Oxytocin System. Neuron, in press. #Corresponding and Co-senior authors; *Co-first authors

 

Contact chercheur :

Charlet Alexandre

CRCN CNRS, Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives, CNRS UPR3212, Strasbourg

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