Les lipides nutritionnels contrôlent le système de la récompense

L’alimentation est sans doute essentielle à la survie mais est aussi source de plaisir. Depuis plusieurs années la littérature scientifique pointe des liens étroits entre alimentation trop riche, prise alimentaire compulsive et obésité.

Des scientifiques du CNRS et d’Université de Paris (Unité de Biologie Fonctionnelle et Adaptative 1,2) viennent de montrer comment les triglycérides, les lipides qui se retrouvent dans le sang après la digestion des graisses par notre intestin, agissent sur le cerveau, et notamment au niveau du « circuit de la récompense ». Publiés dans Cell Metabolism le 5 mars 2020, ces résultats apportent un éclairage nouveau sur le lien entre alimentation et dérèglements des comportements alimentaires.

A l’aide de plusieurs approches complémentaires et multi-échelles, ces travaux montrent que les triglycérides interagissent avec certains neurones du « circuit de la récompense » et diminuent leur excitabilité. Ces neurones portent un type spécifique de récepteur de la dopamine, le récepteur de type 2 (DRD2), et leur activité participe au renforcement des comportements de recherche de récompense. Les scientifiques ont d’ailleurs observé que la manipulation des taux de triglycérides dans le cerveau des souris modifie plusieurs comportements associés à la dopamine, comme le plaisir et la motivation à collecter de la nourriture.

De manière intéressante, ces mêmes neurones possèdent les outils moléculaires nécessaires à la détection et l’utilisation de ces lipides. En particulier, on trouve sur les neurones qui libèrent de la dopamine ou ceux qui, en aval reçoivent et répondent à la dopamine, une enzyme spécialisée dans le découpage des triglycérides en lipides plus simple et plus facilement utilisables par la cellule : la lipoprotéine lipase (LPL). Ces résultats laissent penser que les neurones du circuit de la récompense seraient donc en capacité de répondre aux triglycérides, comme ils répondent au neuromédiateur dopamine.

L’étude est complétée par la mesure de la réponse du cerveau à une odeur de nourriture dans des conditions de jeun ou après un repas. En collaboration avec nos collègues, nous avons montré que la réponse du cortex préfrontal, une des régions du circuit de la récompense, est directement corrélée à la quantité de triglycérides circulants après un repas. Plus les triglycérides sont élevés, plus la réponse du cortex préfrontal à une odeur alimentaire est atténuée, ce qui suggère que l’activité de structures cérébrales importantes du système de récompense peut être directement modifié par un nutriment lipidique.

Habituellement, les concentrations circulantes de triglycérides sont transitoires et fluctuent uniquement après un repas. Ce n’est pas le cas des patients obèses, chez lesquels on observe souvent une concentration trop élevée de triglycérides tout au long de la journée. On pourrait donc imaginer qu’un apport constant de « signaux » lipidiques finirait par perturber l’activité des neurones DRD2 et, par voie de conséquence, perturber la « récompense » associée à la nourriture, ce qui peut se traduire par une comportement alimentaire dérégulé.

Dans ce contexte, cette étude offre un nouveau cadre de lecture permettant potentiellement d’expliquer pourquoi l’accès de plus en plus répandu à des nourritures riches peut contribuer à l’établissement de troubles alimentaires de type compulsif et favoriser le développement de l’obésité.

 

Notes

1- Equipe COFFEE, http://bfa.univ-paris-diderot.fr/#

2- Ont également participé à ces travaux des chercheurs et chercheuses du Centre Interdisciplinaire de Recherche en Biologie (CNRS/Inserm/Collège de France), de l’Institut de Neurosciences Cognitives et Intégratives d’Aquitaine (CNRS/Université de Bordeaux) et du laboratoire Neurosciences Paris-Seine (CNRS/Inserm/Sorbonne Université) et, au niveau international, le Helmholtz Diabetes Center,de Munich, Yale University, University of California San Diego et la société Novo Nordisk.

Référence

Circulating triglycerides gate dopamine-associated behaviours through dopamine receptor type 2 (DRD2)-expressing neurons. Chloé Berland, Enrica Montalban, Elodie Perrin, Mathieu Di Miceli, Yuko Nakamura, Maud Martinat, Mary Sullivan, Xue S. Davis, Mohammad Ali Shenasa, Claire Martin, Stefania Tolu, Fabio Marti, Stephanie Caille, Julien Castel, Sylvie Perez, Casper Gravesen Salinas, Chloé Morel, Jacob Hecksher-Sørensen, Martine Cador, Xavier Fioramonti, Matthias H. Tschöp, Sophie Layé, Laurent Venance, Philippe Faure, Thomas S. Hnasko, Dana M. Small, Giuseppe Gangarossa et Serge Luquet. Cell Metabolism, le 5 mars 2020.

 

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Giuseppe Gangarossa

 

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