L’isolation des calculs corticaux pendant les ondes delta permet la consolidation de la mémoire

Pendant la majeure partie de notre temps de sommeil, notre cortex alterne entre des périodes
d’intense activité et des périodes de silence généralisé. Ces périodes de silence forment de grandes
déviations sur les enregistrements électro-encéphalographiques, qu’on nomme « ondes delta », et qui
jouent un rôle fondamental dans la mémoire : elles permettent de stabiliser les souvenirs à long
terme, notamment grâce à leur couplage avec d’autres rythmes cérébraux. Pourtant, les mécanismes
sous-jacents demeurent énigmatiques : comment des périodes de silence généralisé permettent-elles
aux circuits corticaux de se réorganiser pour consolider la mémoire ?
Pour bien prendre la mesure de cette énigme, nous devons revenir un instant sur ce que nous savons
de l’activité du cerveau pendant le sommeil à ondes lentes. La plupart de nos connaissances sur les
mécanismes fins nous viennent de travaux menés chez le rongeur. Nous savons tout d’abord que
l’hippocampe, la structure cérébrale qui permet entre autres de former de nouveaux souvenirs, se
réactive spontanément en générant une activité semblable à celle de l’éveil : comme si l’animal
« rêvait » de ce qu’il vient de vivre pendant l’expérience scientifique à laquelle il a participé. Ces
informations sont transmises au cortex, qui répond en activant des sous-groupes de neurones bien
spécifiques. Souvent, ce dialogue est suivi d’une onde delta et d’une activité rythmique appelée
« fuseau de sommeil » : c’est à ce moment semble-t-il que les circuits corticaux se réorganisent pour
former des souvenirs stables. Mais alors, pourquoi le dialogue hippocampo-cortical est-il interrompu
par une période de silence (onde delta) juste avant que les circuits corticaux ne puissent prendre en
compte ces échanges pour se réorganiser ? Ce silence n’efface-t-il pas les informations pertinentes ?
En examinant les ondes delta de plus près, nous avons tout d’abord constaté que contrairement à
l’idée généralement acceptée par la communauté scientifique, le cortex ne devenait pas totalement
silencieux : à chaque onde delta, un petit nombre de neurones sans cesse changeant restaient actifs.
Et il ne s’agissait pas d’un simple bruit de fond : de façon surprenante, nous avons découvert que
ces neurones formaient ce que les chercheurs nomment des « assemblées » — des ensembles de
neurones qui s’activent ensemble et de manière répétée pour permettre au cortex de coder des
informations. Plus étonnant encore, ces assemblées se formaient en réponse aux réactivations
spontanées de l’hippocampe. Cette observation inattendue suggérait qu’elles pouvaient être
impliquées dans la consolidation de la mémoire. Et de fait, ces assemblées contenaient
principalement des neurones qui avaient été particulièrement impliqués dans la tâche de
mémorisation que les rats avaient accomplie juste avant la période de sommeil. L’onde delta serait-elle
donc une période de silence sélectif, où la majorité des neurones deviennent silencieux pour ne
pas perturber une minorité de neurones qui joueraient un rôle fondamental à un moment-clef ? Pour
en avoir le coeur net, nous avons adapté la tâche de mémoire spatiale pour que les rats ne se
souviennent pas de leur expérience le lendemain. Puis nous avons provoqué des ondes delta
artificielles au bon moment, pour isoler des neurones associés aux réactivations hippocampiques, ou
quelques dizaines de millisecondes plus tard, pour isoler d’autres neurones au hasard. Résultat :
lorsque nous avons isolé les bons neurones, et seulement dans ce cas, les rats ont pu stabiliser leurs
souvenirs et ont parfaitement réussi le test le lendemain.
Ces résultats suggèrent donc une profonde révision de notre compréhension du cortex : les ondes
delta ne seraient pas des périodes de silence généralisé où le cortex devient inactif et se repose, mais
un moyen d’isoler très sélectivement des assemblées de neurones choisies, qui génèrent et
maintiennent une information cruciale entre les périodes de dialogue hippocampo-cortical et de
réorganisation des circuits corticaux, pour former des souvenirs à long terme.

 

Référence

Todorova R, Zugaro M. Isolated cortical computations during delta waves support memory consolidation. Science. 2019 Oct 18;366(6463):377-381. doi: 10.1126/science.aay0616.

Contact chercheur

Center for Interdisciplinary Research in Biology (CIRB), Collège de France, CNRS, INSERM, Université PSL, Paris, France. michael.zugaro@college-de-france.fr

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