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l’émergence de la communication
orale chez l’enfant sourd implanté
cochléaire.
Répondre à des indications de
plus en plus larges
Initialement proposé comme
dispositif biomédical de réhabilitation des seules surdités
profondes (perte
≥
91 dB HL sur les fréquences conversa-
tionnelles) sans handicap neuro-moteur associé, l’implant
cochléaire a vu, en France comme dans le monde entier,
croître ses indications de façon drastique. La Haute Autorité
de Santé (HAS) a validé en 2008 l’utilisation des implants
cochléaires chez les adultes et enfants sourds profonds à
sévères (perte
≥
71 dB HL sur les fréquences conversation-
nelles), avec comme critère une discrimination de la parole
≤
50 % aux tests d’audiométrie vocale pratiqués à 60 dB, en
champ libre, avec des prothèses auditives conventionnelles
bien adaptées. Avec pour but de permettre la restauration
de la communication orale (surdités postlinguales) ou son
développement (surdités prélinguales), l’implant cochléaire
est proposé aujourd’hui en France dès l’âge de 1 an et est
inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables
par l’assurance maladie. Chez l’adulte, il n’y a pas de limite
d’âge supérieure à l’implantation cochléaire, sauf troubles
neurocognitifs majeurs. Avec ces critères, sachant qu’un
enfant sur 1 000 naît sourd et compte tenu de l’évolution
démographique de nos sociétés, la population cible a été
estimée à 1200 implants/an en France. En se basant sur des
études rapportant une meilleure localisation sonore et une
perception de la parole accrue dans le bruit pour l’implan-
tation bilatérale par rapport à l’implantation unilatérale, la
HAS vient d’étendre (janvier 2012) chez l’enfant l’indication
de l’implant cochléaire, pour le même statut auditif, aux deux
oreilles au lieu d’une précédemment, ouvrant le champ à
de nouvelles recherches sur les effets d’une implantation
cochléaire bilatérale simultanée
versus
séquentielle.
Tracer neurophysiologiquement l’activation du sys-
tème nerveux central auditif par l’implant cochléaire
Les stimulations délivrées au nerf auditif sont ensuite trans-
mises le long des voies auditives du tronc cérébral de façon
tout à fait comparable au traitement acoustique décrit chez
chez l’humain atteint de surdité totale peut produire une
sensation auditive, ouvrant la voie à l’implantation cochléaire
moderne. Bouleversant le champ de l’audiologie fonctionnelle
à la fin du siècle dernier, l’implant cochléaire est considéré en
2012 comme le dispositif médical de référence pour la réha-
bilitation des surdités neurosensorielles sévères à profondes.
L’extension récente de ses indications soulève de nouvelles
questions, tant d’un point de vue neurophysiologique que
psycholinguistique. Les principaux défis déjà relevés, ou
qui restent encore à relever pour mieux comprendre ses
interactions avec le SNC sont décrits ci-dessous.
Reproduire électroniquement l’organisation tonoto-
pique de la cochlée
Les implants cochléaires permettent de palier les atteintes
des structures de l’oreille interne (membrane basilaire, cel-
lules ciliées de la cochlée) observées chez le sourd profond
en codant l’information acoustique sous forme de stimulus
électriques transmis directement au nerf auditif. L’intensité
perçue par le sujet dépend de la charge électrique totale
délivrée : plus la charge est élevée, plus le son est perçu
comme fort
(2)
. Le système implanté dans la cochlée (rampe
tympanique) est un faisceau d’électrodes de stimulation
dont la distribution fréquentielle suit la tonotopie cochléaire
(restitution des fréquences les plus aiguës à la base et des
fréquences les plus graves à l’apex de la cochlée). Ainsi,
les sons de fréquence aiguë sont codés par des électrodes
situées à l’extrémité basale du faisceau d’électrodes, tandis
que les sons de fréquence intermédiaire sont codés par des
électrodes situées dans la partie intermédiaire du faisceau
et les sons graves par des électrodes situées à l’extrémité
apicale du faisceau.
Mesurer les conséquences anatomo-fonctionnelles de
l’implantation cochléaire
L’activation électrique des voies auditives afférentes que
réalise l’implant cochléaire est à l’origine d’une profonde
réorganisation neuronale. Chez le chat sourd congénital,
on constate dans le noyau cochléaire antéro-ventral une
dégénérescence de la synapse axo-somatique terminale de
Held qui s’hypertrophie (élargissement de la densité post-
synaptique) tout en se vidant de son contenu vésiculaire.
Il suffit de 3 mois de stimulation par un implant cochléaire
pour qu’un chat sourd congénital présente des synapses
de Held de morphologie identique à celle observée chez le
chat normo-entendant
(3)
. La morphologie des synapses
auditives centrales est donc malléable non seulement sous
l’effet de la privation sensorielle mais aussi sous celui de la
stimulation électrique. Dans la mesure où le noyau cochléaire
est le point de départ obligé de toutes les voies afférentes, la
normalisation de ses synapses est susceptible de permettre
une transmission efficace du signal sonore dans l’ensemble
du système auditif. Si on admet que la surdité congénitale
résulte chez l’humain d’anomalies synaptiques dans les
fibres nerveuses auditives, on peut inférer que la disparition
de ces anomalies pourrait servir de déclencheur au déve-
loppement des fonctions intégratives corticales à l’origine de
Figure a
: Processeur vocal externe d’un
implant cochléaire (marque Neurelec).
Le processeur, appareil miniaturisé qui
se porte derrière le pavillon de l’oreille,
comprend un microphone qui capte les
sons environnementaux et les transforme
en signaux électriques. Ces signaux sont
transmis via une antenne (également
appelé émetteur de l’implant), à travers
la peau, au récepteur de l’implant qui est
implanté dans l’os temporal (rocher).
Figure b
: Partie interne
d’un implant cochléaire
(marque Medel).
À partir du récepteur de
l’implant, implanté dans
l’os temporal, partent
les signaux électriques
en direction du faisceau
d’électrodes positionné dans
la cochlée. Les électrodes
du faisceau stimulent
directement les fibres du
nerf auditif en shuntant les
cellules ciliées lésées et/ou
en nombre insuffisant.