La lettre
n°43
ossier
le sujet normo-entendant. À ce titre, il est théoriquement
possible de recueillir chez tout sujet implanté cochléaire les
réponses neurophysiologiques évoquées le long des voies
auditives par les stimulations en provenance de l’implant.
Chez l’enfant sourd congénital implanté, il a été montré que
les réponses évoquées auditives sous-corticales (jusqu’au
colliculus inférieur) suivaient le même rythme de maturation
que celles décrites par l’enfant normo-entendant entre la
naissance et l’âge de 2 ans (4). Pour autant, en cas d’im-
plantation cochléaire bilatérale séquentielle chez un petit
enfant (< 3 ans), l’étude de ces mêmes réponses du tronc
cérébral montre qu’un délai de plus de 2 ans entre la 1
ère
et
la 2
nde
implantation peut perturber durablement le traitement
binaural de l’information sonore
(5)
. En ce qui concerne
les réponses évoquées auditives tardives (EEG), leur ana-
lyse topographique chez des adultes utilisant leur implant
cochléaire depuis plus de 3 mois indique la présence d‘une
organisation tonotopique du cortex auditif identique à celle
décrite chez le normo-entendant (6). Chez l’enfant, en utili-
sant la latence de l’onde P1 (ou P50) évoquée par des sons
de parole comme biomarqueur de la maturation des aires
auditives, Sharma et al.
(7)
définissent une période critique
allant de 0 à 3,5 ans durant laquelle l’implantation cochléaire
a toutes les chances de survenir sur un système auditif émi-
nemment plastique, et au-delà de laquelle la latence de P1
ne rattrapera que très difficilement celle d’enfants normo-
entendants appariés en âge. Les études de neuroimagerie
fonctionnelle commencent elles-aussi à fournir des indi-
cations sur les facteurs prédictifs de succès de l’implant
cochléaire. Parmi ceux-ci, chez l’enfant, un hypométabolisme
des aires temporales avant l’implantation présagerait de
bonnes performances perceptives avec l’implant du fait d’une
moindre colonisation du cortex auditif par les aires visuelles
(8)
. Chez le sujet adulte, on observe deux phénomènes de
réorganisation fonctionnelle : tout d’abord en l’absence de
toute stimulation sensorielle (implant éteint), une augmenta-
tion du débit sanguin cérébral dans les aires visuelles et une
diminution dans les aires temporales ainsi que dans l’aire
de Broca
(9)
suivies, au cours de la première année, d’une
diminution progressive de la colonisation des aires auditives
par la vision et d’une réactivation de la boucle audio-motrice
incluant Broca
(10)
.
Suivre le développement du langage chez l’enfant
implanté et en définir les facteurs prédictifs
Chez l’enfant sourd, la précocité de l’implantation cochléaire
ainsi que l’intervalle de temps durant lequel l’enfant n’a reçu
aucune stimulation auditive (durée de privation auditive)
sont avancés comme les principaux facteurs pronostiques
de succès de l’implant. Faut-il pour autant continuer à dimi-
nuer l’âge minimum à l’implantation ? Une récente étude
longitudinale multicentrique a comparé le développement
du langage oral (scores d’expression et de compréhension)
dans 3 cohortes d’enfants implantés respectivement avant 18
mois, entre 18 et 36 mois et entre 36 mois et 5 ans d’âge
(11)
.
Le développement du langage tant sur son versant réceptif
qu’expressif était d’autant meilleur que l’âge à l’implantation
était précoce et que la durée de privation auditive était faible.
Alors que les enfants implantés après l’âge de 36 mois ne
parviennent en général pas à rattraper les performances
d’enfants normo-entendants du même âge, ceux implantés
avant 18 mois y parviennent. Pour autant, dans cette cohorte
d’implantation précoce, le sous-groupe d’enfants implantés
avant l’âge de 12 mois ne se comporte pas différemment du
reste de la cohorte. De plus, contredisant la notion de période
critique développée par Sharma et al. (7), certains enfants
implantés après l’âge de 3 ans parviennent à d’excellents
résultats langagiers. D’autres facteurs prédictifs sont en
effet rapportés : le statut socio-économique de la famille,
la présence de restes auditifs au moment de l’implantation,
ainsi que l’importance des interactions langagières entre
l’enfant et ses parents. Contrairement à des idées reçues, ce
dernier facteur, crucial pour les progrès en communication
de l’enfant, pourrait prendre le pas sur d’autres paramètres
comme le niveau d’éducation et de revenus des parents
ou, dans un pays comme les États-Unis, l’appartenance à
un groupe socio-ethnique. Une récente étude américaine
comparant le niveau des interactions langagières orales dans
des familles hispanophones ou anglophones avec un enfant
normo- ou malentendant, montre que les parents hispano-
phones d’enfants sourds interagissent avec leurs enfants
beaucoup plus que les parents anglophones d’enfants nor-
mo-entendants et à peine moins que les parents anglophones
d’enfants sourds
(12)
. Si les données de la neurophysiologie
auditive sont riches d’enseignements quant à la capacité de
l’implant cochléaire à développer ou restaurer le langage oral,
il apparaît plus que jamais nécessaire d’appréhender chaque
situation individuelle à l’aune de facteurs démographiques
et psycholinguistiques.
ABRÉVIATION
dB HL (Hearing Loss) = décibels de perte auditive
RÉFÉRENCES
(1) Djourno A, et al. Premiers essais d’excitation électrique du nerf auditif
chez l’homme, par micro-appareils inclus à demeure. Bull Acad Natl
Med. Jun 9-Jul 25;141(21-23):481-3 (1957).
(2) Shannon RV. Multichannel electrical stimulation of the auditory nerve in
man: I. Basic psychophysics. Hear Res. ;11:157-89 (1983).
(3) Ryugo DK, et al. Restoration of auditory nerve synapses in cats by
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(4) Thai-Van H, et al. The pattern of auditory brainstem response wave V
maturation in cochlear-implanted children. Clin Neurophysiol. 118(3):676-
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(5) Gordon KA, et al. Binaural interactions develop in the auditory brainstem
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stimulation. J Neurosci. 32(12):4212-23 (2012).
(6) Guiraud J, et al. Evidence of a tonotopic organization of the auditory
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(7) Sharma A, et al.The influence of a sensitive period on central auditory
development in children with unilateral and bilateral cochlear implants.
Hear Res.; 203: 134-43 (2005).
(8) Lee HJ, et al. Cortical activity at rest predicts cochlear implantation
outcome. Cereb Cortex. Apr;17(4):909-17 (2007).
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l’âge de 3 ans parviennent à d’excel-
lents résultats langagiers »...
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