La lettre
n°43
ossier
EEG suscité par les besoins particuliers des ICM, notamment
la nécessité d’interpréter les signaux en temps-réel, a conduit
à une résurgence des approches à visées thérapeutiques de
type Neurofeedback. Des études contrôlées ont commencé
d’être réalisées pour évaluer les effets d’un entraînement
cérébral dans des pathologies aussi diverses que l’addiction,
les troubles attentionnels ou les acouphènes
(8)
.
Les ICM constituent désormais un domaine de recherche
à part entière. Nous avons dépassé le stade de la preuve
de concept ; toutefois, les futures avancées dépendront
étroitement de notre capacité à mesurer et à décoder les
phénomènes physiologiques qui sous-tendent nos décisions
et nos actions. Assez naturellement, ces développements
intéressent aussi le domaine militaire ou encore l’industrie du
jeu vidéo et ne manquent pas de soulever des interrogations
quant aux risques potentiels d’utilisation de ces nouveaux
modes d’interaction. Certaines questions demandent à être
débattues, comme celle liée au recueil de consentement de
la part de patients non communiquant, ou encore la notion
de responsabilité pénale de l’individu alors que la frontière
entre l’homme et la machine deviendrait de plus en plus
difficile à établir. Si tout le monde s’accorde à encourager la
poursuite des recherches sur les ICM, certains assurent que
ces questions éthiques ne sont pas fondamentalement nou-
velles, tandis que d’autres alertent sur une possible révolution
de notre perception de soi. Comme le disait Romain Gary :
« Le paradoxe de la science est qu’il n’y a qu’une réponse à
ses méfaits et à ses périls : encore plus de science »
RÉFÉRENCES
(1) Fetz E., Operant Conditioning of Cortical Unit Activity. Science, 955-957, 1969.
(2) Velliste M, Perel S, Spalding MC, Whitford AS, Schwartz AB., Cortical control
of a prosthetic arm for self-feeding. Nature, 453, 1098-1101, 2008.
(3) Nicolelis MA, Lebedev MA., Principles of neural ensemble physiology
underlying the operation of brain-machine interfaces. Nature Reviews
Neuroscience, 10, 530-540, 2009.
(4) Hochberg LR, Bacher D, Jarosiewicz B, Masse NY, Simeral JD, Vogel J,
Haddadin S, Liu J, Cash SS, van der Smagt P, Donoghue JP., Reach and
grasp by people with tetraplegia using a neurally controlled robotic arm.
Nature, 485 (7398):372-5, 2012.
(5) Bradberry TJ, Gentili RJ, Contrareras-Vidal JL., Reconstructing three-
dimensional hand movements from noninvasive electroencephalographic
signals. Journal of Neuroscience, 30,3432-3437, 2010
(6) Ortner R, Aloise F, Prückl R, Schettini F, Putz V, Scharinger J, Opisso E, Costa
U, Guger C. Accuracy of a P300 speller for people with motor impairments:
a comparison. Clin. EEG Neurosci., 42 (4):214-8, 2011.
(7) Cruse D, Chennu S, Chatelle C, Fernández-Espejo D, Bekinschtein TA,
Pickard JD, Laureys S, Owen AM. Relationship between etiology and covert
cognition in the minimally conscious state. Neurology. 78 (11):816-22, 2012.
(8) Hammond D.C., What is Neurofeedback?, 2006 (publication en ligne: http://
)
Les ICM non-invasives
En parallèle, des études ont vu le jour sur la faisabilité d’ICM
non-invasives chez l’homme, pour décoder l’intention ou la
commande d’un mouvement. Sans risques, ces ICM peuvent
être testées et utilisées par le plus grand nombre. En re-
vanche, s’appuyant sur des mesures à distance, au niveau
du scalp, elles souffrent d’une précision spatiale médiocre
(il est difficile d’isoler la contribution d’une aire cérébrale en
particulier) et sont largement aveugles aux signaux de haute
fréquence. Néanmoins, des études récentes ont montré
l’existence d’un codage d’informations motrices dans les
signaux basse fréquence. Ainsi, il a été possible, grâce à
l’EEG, de reconstruire, en continu, la trajectoire tridimen-
sionnelle d’un mouvement de la main
(5)
. Cependant, il reste
à démontrer, si possible, comme pour les ICM invasives,
que des patients pourraient simplement utiliser l’EEG pour
contrôler en temps-réel le mouvement complexe d’une neu-
roprothèse. Pour l’heure, des stratégies de contournement
sont habilement exploitées. Les sujets ont recours à une
simple imagerie mentale motrice ou à des stratégies très
éloignées d’une planification ou d’une exécution motrice
comme le calcul mental, afin de produire des signaux EEG
amples et reconnaissables, que la machine se chargera
ensuite de traduire en actions simples (par exemple, bouger
un curseur vers la droite ou vers la gauche). La vitesse et la
précision de ces interfaces sont de fait limitées, sans comp-
ter qu’elles requièrent un effort mental et un entraînement
non négligeables, conduisant à un taux d’échec important
(environ 20 % des sujets n’arrivent pas à contrôler de telles
machines, un phénomène surnommé « l’illettrisme en ICM »).
Ces limitations ont motivé l’émergence d’interfaces hybrides,
couplant les ICM avec des technologies de pointe comme
des systèmes de stimulation sophistiqués (par exemple, la
réalité virtuelle) ou de mesure complémentaires (par exemple,
des capteurs d’obstacle ou de direction du regard).
Si la course est lancée entre ICM invasives et non-invasives
pour palier le handicap moteur sévère, ces dernières ont
d’autres perspectives d’applications médicales. Citons en trois.
- Tout d’abord, l’ICM non-invasive la plus performante s’ap-
puie sur l’onde P300, mesurée en EEG lors de l’apparition
d’un stimulus rare mais attendu. Cette ICM baptisée P300-
speller est envisagée comme aide à la communication chez
des patients victimes du syndrome d’enfermement ou entiè-
rement paralysés alors que leur cerveau demeure quasiment
intact. Elle ne permet que quelques sélections par minute
mais a déjà été utilisée avec succès chez plusieurs groupes
de patients
(6)
.
- Ensuite, s’appuyant sur le même type d’ondes ou sur les
rythmes EEG liés à l’imagination d’un mouvement, les ICM
ont récemment été utilisées pour évaluer l’état de conscience
ou d’éveil de patients non communicants
(7)
. En effet, si chez
de rares patients et de manière reproductible, il est possible
d’observer une réponse cérébrale à une consigne qui soit
semblable à celle obtenue chez des sujets témoins, on peut
envisager d’établir avec eux une forme de communication.
- Enfin, le renouveau des techniques d’analyse de données
LE CERVEAU
SUR MESURE
Jean-Didier Vincent
Pierre-Marie Lledo
Éditions Odile Jacob
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