La lettre
n°43
ossier
de mains. Ils ont d’abord étudié un amputé qui avait perdu
ces deux mains quatre ans avant d’être greffé. À l’aide de
l’IRMf, ils ont observé dès deux mois après la greffe, que la
réorganisation provoquée par l’amputation commençait à
être inversée par la greffe bilatérale, et que cette réversion
se poursuivait encore six mois après la transplantation
(9)
.
Cette re-réorganisation prend place après que les nerfs de
l’avant-bras du patient ont colonisé la main greffée, indiquant
que ce processus n’est pas seulement dû à la présence de
la nouvelle main, mais qu’il résulte des influx sensoriels issus
de cette main et se projetant sur le cerveau.
Dans une seconde étude, au lieu d’enregistrer l’activité
corticale pendant les mouvements, l’équipe de Sirigu a sti-
mulé le cortex moteur
via
des stimulations magnétiques
transcraniennes et a cartographié les modifications des
représentations corticales motrices des muscles du bras
d’un patient qui avait perdu ses deux mains trois ans avant
la transplantation (
10)
. Il est intéressant de constater que les
deux hémisphères se réorganisent à des vitesses et avec une
ampleur différentes. De plus, le degré de cette réorganisation
post-transplantation est associé à la capacité du patient à
mouvoir sa main. En effet, une réorganisation plus intense
est associée à un meilleur contrôle moteur.
La cause de cette asymétrie est inconnue et pourrait être due
soit à des différences de croissance des nerfs des mains
droite et gauche, soit à des différences entre les deux hémis-
phères cérébraux.
Les études réalisées chez des individus amputés au cours
des dernières décennies ont révélé que le cortex sensori-
moteur subit des changements majeurs après amputation et
que cette réorganisation est généralement associée à des
conséquences négatives : les douleurs ressenties au niveau
du membre fantôme. L’étude des effets de la transplantation
bilatérale de mains chez l’humain a montré que les mains
transplantées sont reconnues et intégrées au sein du cortex
sensorimoteur, que ce procédé réverse les modifications
induites par les amputations, et que l’étendue de cette réver-
sion est liée au degré de sensibilité et de contrôle qu’ont les
patients sur leurs nouvelles mains.
RÉFÉRENCES
(1) Merzenich, M. M. et al.Somatosensory cortical map changes following
digit amputation in adult monkeys. J. Comp. Neurol. 224, 591–605 (1984).
(2) Donoghue, J. P. & Sanes, J. N. Organization of adult motor cortex
representation patterns following neonatal forelimb nerve injury in rats.
J. Neurosci. 8, 3221–3232 (1988).
(3) Mercier, C., et al. Mapping phantom movement representations in the
motor cortex of amputees. Brain 129, 2202 (2006).
(4) Pons, T. et al. Massive cortical reorganization after sensory deafferentation
in adult macaques. Science 252, 1857 –1860 (1991).
(5) Flor, H. et al. Phantom-limb pain as a perceptual correlate of cortical
reorganization following arm amputation. Nature 375, 482–484 (1995).
(6) Flor H., et al. Effect of sensory discrimination training on cortical
reorganisation and phantom limb pain. The Lancet 357, 1 763–1 764
(2001).
(7) Huse, E. et al. Phantom limb pain. The Lancet 358, 1015 (2001).
(8) MacIver, K. et al. Phantom limb pain, cortical reorganization and the
therapeutic effect of mental imagery. Brain 131, 2181 (2008).
(9) Giraux, P. et al. Cortical reorganization in motor cortex after graft of both
hands. Nat. Neurosci. 4, 691–692 (2001).
(10) Vargas, C. D. et al. Re-emergence of hand-muscle representations in
human motor cortex after hand allograft. Proceedings of the National
Academy of Sciences 106, 7197 (2009).
d’une tâche peut ainsi induire des modifications transitoires
et légères alors qu’un AVC ou une amputation induisent à
long terme une réorganisation massive. Les cartes corticales
sensorielle et motrice étant bien documentées, la plasticité
peut être étudiée en examinant les modifications observées
au niveau de ces cartes corticales. Par exemple, Michael
Merzenich et ses collègues ont montré que lorsqu’un membre
est déafferenté ou amputé, la surface corticale qui réagissait
habituellement au toucher de ce membre ne devient pas une
zone muette. Elle réagit lorsque d’autres zones corporelles
sont touchées. Cependant cela ne concerne pas n’importe
quelle zone corporelle, mais seulement celles dont les aires
corticales lui sont adjacentes. Ainsi, après l’amputation d’un
doigt, les enregistrements du cortex « démuni »- précédem-
ment associé à ce doigt - montrent qu’il devient sensible au
toucher des autres doigts et de la paume
(1)
. À l’inverse,
la stimulation de l’aire corticale motrice démunie, suite à
l’amputation d’une main, peut provoquer des mouvements
du moignon, de l’épaule
(2)
, voir même des mouvements du
membre fantôme chez l’humain
(3)
.
On a pensé dans un premier temps que ces modifications
étaient très localisées, survenant dans un rayon de 2 ou 3 mil-
limètres, mais par la suite des études ont montré qu’elles affec-
taient de très larges surfaces corticales et sous corticales
(4)
.
La découverte de ces modifications massives a rapidement
amené les scientifiques à étudier les conséquences de cette
réorganisation. Est-il possible que les modifications de la
carte corticale sensorimotrice reflètent les tentatives du
cerveau pour remplir des espaces laissés vides sans que
cela ait des conséquences particulières pour l’individu ?
Ou encore, est-ce que les modifications des cartes senso-
rimotrices affectent la façon dont l’information est traitée et
le mouvement réalisé ?
Des études chez l’humain montrent qu’après amputation, la
douleur ressentie au niveau du membre fantôme est corré-
lée à la surface du cortex sensorimoteur qui se réorganise
(5)
. Les représentations corticales des zones corporelles
impliquées évoluent également en se déplaçant. Par la suite,
des études ont démontré que cette réorganisation avait, elle
aussi, des propriétés plastiques puisqu’elle pouvait être
inversée suite à un entraînement sensoriel
(6)
, à une sti-
mulation tactile
(7)
ou à un entraînement mental
(8)
, et que
cette re-réorganisation s’accompagne d’une réduction de
la douleur ressentie au niveau du membre fantôme.
Si l’amputation produit une réorganisation massive, et si cette
réorganisation peut être affectée par une intervention motrice
ou sensorielle, il serait intéressant de savoir ce qui se passe
dans le cortex sensorimoteur d’un amputé qui subirait une
greffe. Est-ce que le cortex se re-réorganise en réaction à
la greffe, et est-ce que le cerveau ressent et fait bouger la
main greffée ? Les réponses à ces questions fondamentales
ont été apportées par Angela Sirigu et son équipe de Lyon
qui ont étudié les effets des premières greffes bilatérales
... « cette re-réorganisation s’accompagne
d’une réduction de la douleur ressentie au
niveau du membre fantôme »...