Neurosciences et éducation
Comment les neurosciences peuvent améliorer l’éducation ?
Fabien Dworczak, Université Lyon 2
La pratique éducative et formative ne peut plus ignorer les recherches et acquis des neurosciences aujourd’hui. De nouvelles méthodes, en cours de développement, permettent d’explorer les différences interindividuelles dans l’anatomie du cerveau et dans ses modalités de fonctionnement. La naturalisation de l’esprit se poursuit, son fonctionnement devient le produit d’une activité qui s’enregistre et se voit. La psychobiologie des apprentissages et de la mémoire apporte, déjà, des réponses aux nombreuses questions relatives à la cognition humaine.
Dans le futur, la nouveauté des résultats qu’apporteront les techniques de neuroimagerie sera directement conditionnée par la qualité des paradigmes cognitifs qui seront mis en œuvre pour sonder l’esprit. Ces résultats influenceront la conduite des actes éducatifs et de formation : remédiations pour les dyslexiques, nouveaux apports pour l’apprentissage de la lecture, traitements des dyscalculies et des troubles des apprentissages (attention…)… Les formations initiales, continues, donc universitaires des (futurs) enseignants devront évoluer et dépasser la barrière de conflits corporatistes… La formation initiale (et continue mais existe-t-il une formation continue ?) qui devrait prendre en compte les avancées scientifiques et connaissances nouvelles, doit évoluer et s’adapter.
Nouvelles avancées
Les Sciences de l’Éducation qui devaient, a priori, former de futurs enseignants, que nous apprennent-elles ? L’ancien INRP (Institut National de Recherche Pédagogique), rebaptisé IFE (Institut Français de l’Éducation), que propose-t-il pour la formation des enseignants ? Des Universités (Instituts), dont l’objectif est de former les enseignants et de développer, donc, les partenariats, de connaître et diffuser les avancées scientifiques, ne se contentent-elles que de se reproduire, d’exister et de justifier, par-là, les crédits, budgets, salaires ?
La question pourrait être posée aux enseignants en formation…ou en demande de formation… Les enseignants de terrain ont, le plus souvent, la très grande motivation d’accroître leurs compétences et l’évolution rapide de la recherche en neurosciences ouvre de nouvelles avancées pouvant les aider à envisager les méthodes d’enseignement et d’apprentissage sous un angle nouveau.
L’éducation va au-delà de l’apprentissage de faits et de compétences comme la lecture et, donc, n’est pas limitée à la scolarité. Elle joue un rôle essentiel tout au long de la vie et aide les gens de tout âge à s’adapter aux défis associés aux bouleversements économiques, aux problèmes de santé et au vieillissement. Les neurosciences nous apprennent que le cerveau change constamment et tout ce que nous faisons modifie notre cerveau, les connexions entre les neurones étant renforcées lorsqu’elles sont simultanément activées. Cet effet est appelé « plasticité dépendante de l’expérience » et est présent tout au long de la vie (Lovden et coll., 2010).
Cette neuroplasticité permet au cerveau de tenir compte constamment de l’expérience et de l’environnement. La plasticité a tendance à diminuer avec l’âge, ce qui est particulièrement évident dans l’apprentissage d’une langue seconde. Les circuits du cerveau changent progressivement durant le développement du petit homme pendant une période étonnamment longue mais, même après ces changements développementaux, la plasticité dépendante de l’activité est évidente tout au long de la vie.
Pour maintenir ses compétences, il est nécessaire que ces dernières continuent d’être exercées afin de consolider les changements cérébraux. Cette neuroplasticité comporte, aussi, des limites ainsi que des différences individuelles. L’apprentissage n’est pas entièrement sujet à des périodes sensibles et, donc, désapprendre des habitudes peut-être remarquablement difficile.
Limites
Il semble y avoir des limites quant à la façon dont les prédispositions internes et la stimulation externe peuvent influer sur l’apprentissage. Nous savons également qu’après une lésion cérébrale, certaines fonctions semblent être plus facilement réadaptées, alors que d’autres ne peuvent jamais être apprises de nouveau. De nombreux facteurs jouent un rôle dans le rétablissement et la compensation ; les traitements pharmacologiques et les programmes d’entraînement sont à l’étude pour prolonger la plasticité à l’âge adulte.
Les neuroscientifiques ont pu étudier le lien entre la récompense et l’apprentissage dans le contexte de l’apprentissage par renforcement, dans lequel nous apprenons à attribuer des valeurs à de simples actions. La recherche démontre que le degré d’incertitude concernant la récompense pouvant être récoltée contribue grandement à l’ampleur de la réponse neuronale générée. Ceci remettrait en question les modèles éducatifs s’appuyant sur l’idée d’une simple relation entre la récompense et la motivation à l’école et pourrait suggérer de nouvelles façons d’utiliser la récompense plus efficacement dans le milieu éducatif pour améliorer les apprentissages (Howard-Jones et Demetriou, 2009).
L’éducation est une forme cognitive d’amélioration cognitive ; l’éducation semble être l’agent d’amélioration cognitive le plus efficient, de façon généralisée et constante (Bostrom et Sandberg, 2009). Ainsi, les résultats de recherche sur les neurosciences et l’amélioration cognitive indiquent que l’éducation pourrait accroître la résilience et le capital cognitif et, donc, la réponse adaptative à des événements stressants et traumatisants et la maladie, comme les lésions cérébrales, les troubles mentaux et le vieillissement normal.
La résilience et le capital cognitif peuvent être accrus à n’importe quel moment de la vie. Cependant, on ne peut ignorer qu’il existe une grande variation dans la capacité d’apprentissage des individus et il y a, donc, un besoin urgent de développer des approches éducatives efficaces et novatrices. Les travaux de recherche actuels en neurosciences sont dirigés vers l’identification du fondement cérébral des difficultés d’apprentissage ; des résultats apparaissent pour le diagnostic de ces difficultés et pour, par suite, l’élaboration d’interventions pédagogiques, éducatives, remédiatrices, adaptées à différents âges de la vie.
Nouvelles méthodes d’enseignement
Ainsi, de nombreuses recherches se sont penchées sur des difficultés particulières, telles la dyslexie et la dyscalculie développementales (www.apedys.org) ; certains travaux ont pu révéler des déficits cognitifs sous-jacents qui peuvent être évalués par des épreuves expérimentales et qui peuvent, surtout, expliquer d’autres difficultés souvent associées à des échecs durant la scolarité. Si la recherche a pu démontrer l’existence de marqueurs cérébraux liés aux difficultés d’apprentissage, ceux-ci sont subtils et surtout complexes. Il n’est donc pas encore possible de prédire ou d’évaluer un trouble d’apprentissage particulier à partir d’une scintigraphie du cerveau (Gied et Rapoport, 2010).
Et de la même façon s’il existe des preuves que des facteurs génétiques sont en cause dans certains troubles d’apprentissage (Willcutt et coll., 2010), on ne peut que rarement inculper un seul gène. Cela dit, même lorsque l’on peut identifier un risque génétique ou un fondement neurologique à l’origine d’un trouble d’apprentissage, cela ne signifie nullement que la personne ne peut rien apprendre ; il faudrait, dans ce contexte, identifier les obstacles spécifiques à l’apprentissage et trouver de nouveaux modes d’apprentissage.
Les études sur la dyslexie, avec une combinaison de méthodes comportementales et de neuroimagerie, illustrent qu’il est possible d’identifier des obstacles neurocognitifs à l’apprentissage et d’apporter des suggestions pour de nouvelles méthodes d’enseignement. Ainsi, la neuroimagerie fonctionnelle montre que les enfants et les adultes dyslexiques présentent des profils d’activation « anormaux » dans les régions du cerveau impliquées dans le langage et la lecture. Des innovations pédagogiques sont en cours et devraient être diffusées plus efficacement.
Formation spécialisée
Les neurosciences ne peuvent, évidemment, pas tout comprendre dans les processus d’apprentissage mais elles peuvent suggérer la nature du concept ou de la compétence qui doivent être ciblés et le type d’activité cognitive qui doit être renforcé. Cependant, la mise en œuvre de telles remédiations demandent une formation spécialisée des enseignants, avec les coûts qui s’en suivent.
Tel est le prix à payer pour tenter de vaincre les troubles d’apprentissage. Les technologies ont le potentiel, aussi, de jouer un rôle complémentaire à celui de l’enseignant en facilitant la répétition d’activités d’apprentissage ciblées. Ainsi, les modèles expérimentaux qui donnent lieu à des données neuroscientifiques peuvent souvent être adaptés pour appuyer des remédiations grâce à des plateformes fondées sur la technologie (ordinateur, téléphone..). Des technologies numériques peuvent être mises au point pour appuyer l’apprentissage individualisé, adapté au rythme de l’apprenant.
Les neurosciences sont souvent accusées de « médicaliser » les problèmes des personnes présentant des difficultés d’apprentissage. Et ceux qui critiquent les neurosciences pensent qu’elles présentent une vision réductionniste, scientiste, qu’elles insistent trop sur le cerveau au détriment d’une compréhension holistique de la vie culturelle et qu’elles ont une vision déterministe voulant que notre héritage neurologique nous lance sur une voie immuable.
Cependant, dans les perspectives neuroscientifiques, il est important de reconnaître que chaque personne constitue un système complexe fonctionnant à des niveaux neuronaux, cognitifs et sociaux, avec de multiples interactions environnementales. Il est donc faux de considérer les prédispositions biologiques comme déterministes ; leur impact est probabiliste et dépend largement de l’environnement. Il importe, néanmoins, de souligner qu’il existe des difficultés d’apprentissage qui ont un fondement biologique et qui ne peuvent être attribuées uniquement aux attentes des parents, des enseignants ou de la société.
Et, si les facteurs de risque biologiques ne sont pas pris en compte, des occasions importantes d’optimiser l’apprentissage seront manquées. Pour que les neurosciences éducationnelles puissent évoluer vers une nouvelle discipline efficace (neuroéducation ?) et exercer un impact important sur la qualité de l’apprentissage pour tous les apprenants, nous devons assurer un dialogue à long terme entre les neuroscientifiques et une vaste gamme de chercheurs et de professionnels, issus de divers milieux.
Dernier ouvrage paru : Neurosciences de l’éducation, l’Harmattan, 2004.
Fabien Dworczak, PhD, chercheur associé neurosciences et éducation, Université Lyon 2
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.