Lecture Alfred Fessard

La lecture Alfred Fessard 2024 sera donnée

par Simon Thorpe (CerCo, CNRS UMR 5549, Toulouse)

sur le thème :

Neuroscience and AI – What can AI learn from how the brain computes?

le vendredi 24 mai 2024 à 9h00

au Centre Broca Nouvelle Aquitaine
146 rue Léo-Saignat 33077 Bordeaux

Portrait de Simon Thorpe, par Rufin VanRullen (Toulouse)

Simon Thorpe est certainement le plus Frenchie des Englishmen –à part, évidemment, pour son accent que quarante années sur le continent n’auront pas suffi à effacer… Né au Royaume-Uni, il a d’abord étudié la psychologie et la physiologie à l’Université d’Oxford, avant d’y entreprendre un doctorat dirigé par Edmund Rolls. S’ensuit une période postdoctorale au Canada avec Max Cynader, avant de rejoindre le laboratoire de Michel Imbert à Paris, et d’être recruté au CNRS en 1983. Il ne quittera plus la France, son pays d’adoption. En 1993, il s’établit à Toulouse, où il fonde avec d’autres chercheurs le laboratoire CerCo (Cerveau et Cognition), dont il prendra plus tard la direction (2014-2021). Il est ainsi en grande partie responsable de la reconnaissance actuelle de Toulouse comme haut lieu de la recherche mondiale en Neurosciences Cognitives.

Sa fascination pour la rapidité du cerveau remonte probablement à sa période doctorale, où il raconte avoir découvert des neurones du cortex orbitofrontal du singe qui répondaientsélectivement à une nourriture favorite en moins d’un dixième de seconde. Des expériences en électrophysiologie chez le singe éveillé et en EEG (électro-encéphalographie) chez l’homme confirment un traitement très rapide de l’information visuelle. C’est le thème de son article le plus cité (Speed of Processing in the Human Visual System) paru dans Nature en 1996. Partant de ce constat, le raisonnement de Simon Thorpe est à la fois simple et implacable : l’information visuelle doit traverser une dizaine d’étapes de traitement en un dixième de seconde, il n’y a donc qu’une poignée de millisecondes à chaque étape pour intégrer le signal et produire une réponse. Selon Simon, cette contrainte temporelle proscrit les boucles feedback et le codage de l’information par le taux de décharge neuronal—trop lents. Il propose un système feedforward, avec un seul potentiel d’action par neurone, où l’ordre de décharge parmi les neurones représente le code de l’information.

Fort de cette hypothèse, Simon Thorpe fonde SpikeNet Technology en 1999, une startup de vision artificielle reposant sur ce codage temporel. La startup prend de l’ampleur avant d’être rachetée par la société Brainchip en 2016, au sein de laquelle les idées de Simon Thorpe perdurent…

L’esprit de Simon Thorpe est un réservoir inépuisable d’idées saugrenues, ingénieuses et parfois brillantes. (La mission principale de ses étudiants, dont j’ai fait partie, est de savoir trier dans ce foisonnement, sous peine d’être vite submergé). Une autre de ces idées lui a valu un prestigieux financement ERC Advanced en 2012 : il postule qu’une large proportion de notre cortex est une sorte de « matière noire » corticale, des neurones silencieux qui ne s’activent que très rarement pour reconnaître un souvenir ancien, comme le générique d’un feuilleton qu’on regardait étant petit, et qu’on n’a jamais revu depuis. Comme la matière noire cosmique, celle-ci est difficile à déceler par les méthodes expérimentales conventionnelles ; qu’à cela ne tienne, l’équipe de Simon Thorpe conjurera d’ingénieuses méthodes détournées.

Les idées insolites de Simon Thorpe s’étendent bien au-delà des Neurosciences. Dans son blog bien-nommé « simonthorpesideas.blogspot.com », il soulève les incohérences d’un système économique basé sur la dette des Etats, et propose des solutions au changement climatique, ou à la crise de l’emploi que nous promet la révolution de l’IA. Il défend un modèle économique où un revenu universel serait couvert par une taxe sur les transactions financières… Un éternel rêveur, en somme !

Simon Thorpe a toujours mis son énergie et sa créativité au service de la communauté. Directeur du CerCo, de l’Institut des Sciences du Cerveau Toulousain (TMBI : Toulouse Mind and Brain Institute), Président de l’ancienne CID 44 du Comité National (Cognition, langage, traitement de l’information, systèmes naturels et artificiels), à chaque fois Simon a insufflé son désir de changer les choses pour le meilleur. La Société des Neurosciences nous offre une nouvelle occasion de découvrir ou redécouvrir cet esprit unique, lors de la Lecture Alfred Fessard 2024.

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