Le cerveau a-t-il ses raisons que la raison ignore ? Une compréhension complète du fonctionnement cognitif ne peut aboutir sans considérer la partie immergée de l’iceberg que représentent les émotions. Les neuroscientifiques cherchent aujourd’hui à étudier spécifiquement chaque émotion, plutôt que les émotions en général, en cherchant à identifier les circuits cérébraux qui leur sont propres.
De quelle nuit nous viennent les émotions ? Une émotion pour chaque chose, penser et décider, faire ce qu’il y a à faire, dire l’indicible… La tristesse, la peur, la colère, la surprise…, tant d’émotions qu’il reste encore difficile de comprendre comment fonctionnent ces émotions que nous ressentons, et comment elles se construisent dans notre cerveau. Une manière est d’en étudier les substrats neuronaux chez le bébé qui apprend à les décoder, chez l’ado qui apprend à les gérer, chez le patient qui ne sait pas, ou plus, comment les contrôler, chez l’animal qui les utilise pour sa survie ou celle de son espèce. Tel est l’objet de ce Dossier que nous vous proposons avec joie !
Tout d’abord, vous serez enchantés de découvrir le premier article du Dossier, écrit par Aline Bertin et Cécile Arnould, qui travaillent à Tours sur l’importance des émotions positives chez les oiseaux pour la survie des espèces. Ces émotions s’expriment par exemple dans le chant ou dans le jeu, peuvent également biaiser leur jugement, et sont perceptibles via l’analyse de leurs expressions faciales. Ces recherches visent à éclairer le débat actuel sur la conscience des émotions positives dans le règne animal et son origine évolutive.
En lien avec les biais de jugements, force est de constater que les émotions prennent une part essentielle dans les processus de raisonnement et de prise de décision. C’est justement ce qui questionne Thomas Boraud (Bordeaux) qui s’intéresse au primate non-humain dans le second article du Dossier, et Mathias Pessiglione (Paris) qui s’intéresse à l’être humain et qui a écrit l’article suivant. Ces recherches ouvrent des perspectives encourageantes vers une meilleure compréhension de l’influence des émotions sur les processus de prise de décision, que ces émotions dépendent ou non du choix à effectuer.
Vous serez ensuite surpris de découvrir les mécanismes de résilience au stress, c’est-à-dire d’adaptation en réponse à une source importante de stress, de façon à en éviter ses conséquences négatives. Afin d’en connaître les facteurs biologiques, Elsa Isingrini (Paris) utilise le modèle murin pour étudier les bases neurobiologiques de la dépression, via le modèle de stress chronique par défaite sociale.
En restant sur le même modèle animal, Catherine Belzung (Tours) s’intéresse quant à elle à l’hippocampe, et en particulier à la neurogenèse hippocampique adulte qui joue un rôle très important dans l’anxiété et la peur conditionnée. Ses travaux montrent notamment une implication des neurones de l’hippocampe nés à l’âge adulte pour combiner différentes caractéristiques d’un stimulus (ses caractéristiques sensorielles, sa localisation, sa valence émotionnelle) en un « percept » unique et pour distinguer un contexte potentiellement dangereux d’un autre contexte voisin plus sûr.
Les 6 derniers articles portent sur l’être humain, nous vous les proposons selon une approche ontogénique. Tout d’abord, Fleur Lejeune et Edouard Gentaz (Genève) s’intéressent au développement précoce de la perception visuelle ou auditive des expressions émotionnelles chez le bébé. Ils rapportent notamment l’importance de l’intégration multimodale, audio-visuelle, pour discriminer des émotions faciales dès le très jeune âge. Si les émotions sont exprimées et perçues à travers l’ensemble des cultures, le débat autour de leur composante innée ou apprise reste actuel.
Naïla Even et Amaël Arguel (Toulouse) s’intéressent à la relation inverse entre apprentissage et émotions, en étudiant en particulier le rôle modulateur des émotions dans les apprentissages longs et coûteux au niveau attentionnel, tels qu’ils sont dans le système éducatif. En particulier, ils rapportent l’existence d’une zone de confusion optimale dans laquelle la confusion ressentie est suffisante pour susciter l’engagement, sans être excessive afin d’éviter le risque de frustration des apprenants.
Dans l’article suivant, vous apprendrez que le circuit neuronal des émotions est intimement lié à celui impliqué dans les comportements sociaux. C’est ce que met en exergue Marie-Hélène Grosbras (Marseille), qui s’intéresse au « cerveau social » et au réseau fonctionnel des émotions via une approche en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. L’aspect distribué et recouvrant de ces deux réseaux cérébraux souligne l’imbrication de ces processus dans leur vulnérabilité, expliquant pourquoi la plupart des maladies psychiatriques ou neurologiques sont associées à des symptômes altérant le fonctionnement social et affectif.
C’est justement ce que rapportent Jean-Luc Martinot, Marie-Laure Paillère, Alice Chavanne et Eric Artiges (Paris) qui s’intéressent à une période importante de maturation cérébrale : l’adolescence. Ils soulignent notamment l’intérêt de l’approche longitudinale pour identifier des précurseurs des troubles affectifs à l’adolescence, en mettant le focus le rôle médiateur des habitudes de sommeil ou de maltraitances sur l’anxiété. Ces recherches ont révélé des particularités cérébrales précédant l’apparition de troubles psychiatriques affectifs ou anxieux.
L’autre exemple soulignant le lien entre émotion et cerveau social se trouve dans les travaux rapportés dans l’article écrit par Nadia Aguillon-Hernandez (Tours), sur les émotions et les difficultés sociales dans le Trouble du Spectre de l’Autisme. La question de l’expérience émotionnelle, belle et bien présente chez les individus présentant ce trouble malgré une expressivité différente, est encore largement étudiée en raison de sa complexité.
Pour clôturer ce dossier, Maxime Bertoux (Lille) nous proposent une conception moderne des émotions et nous révèle les troubles émotionnels qui résultent des maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer, de Parkinson, ou de Huntington pour en citer quelques-unes. Malgré la diversité des mécanismes affectifs et cognitifs impliqués dans ces diverses pathologies, l’auteur note une implication systématique des régions limbiques (au sein desquelles l’amygdale joue un rôle prépondérant), préfrontales, insulaires, temporales et striatales. Ces régions sont celles que nous retrouvons dans l’ensemble des articles de ce Dossier. Nous espérons que vous le lirez avec autant d’intérêt et de motivation que nous avons eu à le préparer.
Bonne lecture !