La Lettre 46 - page 11

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apprisapparaissentdoncprimordialesdans l’établissement
de leurs représentations sémantiques.
... rôle incontestablede l’enchâssement ducerveau
dans le corps pour la construction des représen-
tations à l’origine du sens: comprendre, ce serait
simuler la situation, la vivre…
Les études en IRMf étayent cemodèle enmontrant une
activation des régionsmotrices lorsque des participants
exécutent desmouvements et lorsqu’ils lisent ou écoutent
desmotsd’action, qu’ils soient isolés
(5)
ou inclusdansun
contexte littéral ou figuré (« Jean prend lamouche»)
(6)
.
Cemodèles’inspireduprinciped’apprentissageassociatif
selon lequel laco-activation répétéededeuxgroupesneu-
ronauxconduit à la formationd’uneassemblée fonctionnelle
par renforcement du poids des connexions synaptiques.
Ainsi, le traitement des «mots de vision», appris dans le
cadrede laperception visuelle (e.g. lorsde ladésignation
d’objets), recruterait des assemblées distribuées sur les
aires langagièreset lecortex visuel occipito-temporal. Les
«mots d’action» (des verbes pour laplupart), acquis en
étroite relationavec l’exécutionou l’observationdesactions
décrites, seraient,quantàeux,codéspardes réseauxdistri-
buéssur lesairesdu langageet lesaires frontalesmotrices.
Lesmodalités sensorimotrices
via
lesquelles lesmots sont
Les paradoxes de ladémence sémantique
| PAR Francis Eustache
(Caen)
Lessyndromesd’atrophie focaleprogressive,comme ladémencesémantique,sontcaractériséspardesatteintescognitives
dont lasélectivitéest exacerbéepar desmécanismescompensatoireset deplasticité, insoupçonnés jusqu’à récemment.
Ladémence sémantique, ou variante temporalededémence fronto-temporale, se caractérisepar des troublesmajeurs
de lamémoire sémantiquequi contrastent avecunepréservationdes aspectsphonologiques et syntaxiquesdu langage.
Deplus,même s’il est imprécis, le langageconversationnel restepossibleàun stadede l’évolutionoù les troubles lexico-
sémantiques sontmassifs. Ladémence sémantique sedistinguedes aphasiesdégénératives non-fluentes où les troubles
phonologiqueset syntaxiquessontaucontraireaupremierplan.Danscesmaladiesneurodégénératives, lasymptomatologie
très spécifique s’expliqueenpremier lieupar une localisation restreintede l’atrophie, parfoispendant plusieurs années, à
une régiondélimitéeducerveau
(1)
.
Malgré les troubles sémantiquesmassifs, lespatients atteintsdedémence sémantiquen’ont pasdedifficultésmajeures à
évoquer lesévénementsduquotidien.Lessujetsdeconversationdespatientssont souvent limitésà leursactivités journalières,
mais ilscontinuent àgérer leur viede façonautonomeet gardent desconnaissancessur leursobjetspersonnels. Il semble
ainsi quecertains « îlots»de savoir personnel, s’appuyant sur des événements récents, peuvent favoriser lapréservation
decertainesconnaissancesconceptuelles.
…(les) données de lapathologie sont essentielles pour comprendre
les relations entremémoireépisodiqueetmémoire sémantique…
La relativepréservationde lamémoireépisodique, endépit de l’atteintede l’hippocampe
(2)
etmalgré l’importancedes
troubles sémantiques, constitue un aspect paradoxal et très intriguant du tableau clinique. Les patients obtiennent de
bonnesperformancesdansdifférentes tâchesde reconnaissanceutilisant unmatériel non verbal. Lesperformances sont
normalesquand les stimuli sont strictement identiques lorsde laphased’étudeet lorsde laphasede test.Mais avecdes
photographiesd’objetsprisessousdifférentsangles, lesuccèsde la reconnaissanceestmodulépar lestatut sémantiquedu
stimulus:unebonne reconnaissancepour les itemsconnus,maisune reconnaissanceperturbéepour lesstimuli nonconnus.
Les travauxqui ont proposéconjointement des tests épisodiques (liés aux souvenirspersonnels) et sémantiques (liés aux
connaissancesgénéralesdumonde) àcespatientssuggèrent que la formationd’unsouvenir épisodiquenenécessitepas
forcément unemémoire sémantique intègre. Toutefois, 1) les tests employés ne répondent pas complètement aux critères
de lamémoireépisodique (leniveaudeconsciencen’était pas évalué), 2) lamémoire sémantiquedespatients n’était pas
totalement abolieet 3) les testsproposés nepermettent pasde savoir si les «souvenirs»exprimés sont durables ounon
(3)
. Il n’en restepasmoinsquecesdonnéesde lapathologiesont essentiellespourcomprendre les relationsentremémoire
épisodiqueetmémoire sémantique. Cesdiversesdissociationsdeperformances soulignent également l’importancede la
plasticitécérébrale,capabledecompensercertainsdéficitsetmêmed’exacerberdescapacités restantes,chezdespatients
auxprisesavecunemaladiedégénérative. Lesétudesdeneuroimagerieont largement contribuéàcettevisiondynamique
de laneuropsychologiedecesaffections
(4)
.
R
éférences
(1)Desgrangeset al.,Neurobiol. aging, 2007; 28(12): 1904-1913
(2) La Joieet al., NeuroImageClin., 2013; 3: 155-162
(3)Adlametal.,Neuropsychologia,2009 ;47(11):2207-2210
(4)Viardetal.,Neuropsychologia,2013 ;51(13):2620-2632
1...,2,3,4,5,6,7,8,9,10 12,13,14,15,16,17,18,19,20,21,...28
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